Les bateliers du Grand-Morin
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Comme nous l’avons vu dans de précédentes balades créçoises (cf : De l’eau aux moulins ), le Grand-Morin, dès le règne de François 1er, a fait l’objet d’aménagements dans le but de le rendre navigable sur son cour aval, depuis l’actuel Moulin du Coude jusqu’à son embouchure dans la Marne. De cette royale volonté, le Grand-Morin a conservé, sur notre secteur, un statut de rivière domaniale.
La navigabilité du Grand-Morin a été améliorée au fil des siècles grâce à la construction de barrages qui retiennent les eaux de la rivière au niveau des moulins. Ces dispositifs ont contribué à canaliser la rivière, maintenant ainsi des hauteurs d’eau suffisantes pour autoriser le passage d’embarcations de tailles significatives. Si les meuniers obtenaient l’autorisation d’exploiter l’énergie hydraulique, ils se devaient en revanche de ne pas entraver la navigation sur la rivière, droit inaliénable accordé aux bateliers. C’est pourquoi, chaque moulin était équipé d’un pertuis, ou porte à bateaux (ou porte marinière), qui permettait aux embarcations de transport ou aux radeaux de bois, de franchir les barrages avec plus ou moins de facilité. Le droit des bateliers était garanti par les meuniers et autres « usiniers » qui se devaient d’ouvrir les portes à bateaux dès lors qu’une embarcation se présentait à hauteur du moulin, tant à la descente qu’à à la remontée. Pour le meunier, l’ouverture de la porte à bateau signifiait avant tout, arrêt de la roue et de son mécanisme, donc, un manque à gagner. En effet, l’ouverture de la porte à bateau s’accompagnait d’une baisse significative du niveau de l’eau en amont du barrage qui en vidant la « réserve » d’eau, effaçait la chute d’eau censée activer la roue. Une aubaine pour la continuité écologique, mais personne ne le savait encore ! Les baux ou les actes de vente des moulins faisaient référence à ces devoirs qui avaient force de loi. A l’époque, les riverains ne pouvaient pas faire n’importe quoi, contrairement à ce qui est observé de nos jours. Pendant longtemps le bois fut la principale marchandise transportée sur la rivière. Sans doute les embarcations remplies de bois étaient-t-elles courantes, mais une grande partie du trafic était assuré par flottage de billes de bois, attachées les unes aux autres pour former des radeaux ou « trains » de bois Un mode de transport primitif : le flottage des bois. Les billes sont fixées entre elles pour constituer des radeaux ou "trains" de bois. Les opérateurs installés sur les radeaux assurent la manoeuvre de l’ensemble avec des perches. Le train de bois ne circule que dans le sens descendant. Les radeaux pouvaient partir de plus loin en amont, au-delà du cour ouvert à la navigation. Sur la photo, le train ,de bois s’apprête à franchir le pont du chemin de fer à Couilly.
Cpa datée de janvier 1906 Editeur JD Photo – Couilly, la péniche chargée de bois de chauffage porte la marque Roeser Le bois a toujours constitué la marchandise la plus transportée sur la rivière. En 1889 de grandes coupes de bois furent pratiquées en forêt de Crécy. De gros volumes de grumes furent débardés jusqu’à Crécy, stockés dans les prairies longeant le Morin, créant ainsi un "port à bois" éphémère. L’évacuation des coupes se fit sur de longs mois et déjà les meuniers avaient mal vêcu cette surexploitation du trafic sur la rivière (Source A. Bazin). Editeur Gruot, Crécy Cette carte, assez courante, est emblématique de la navigation sur le Grand Morin. Les établissements Roeser disposaient ainsi de leurs propres embarcations L’éminent A. Bazin nous explique qu’au cours de l’histoire, les meuniers se sont souvent plaints des périodes de chômage liées au passage des embarcations, mais l’auteur pensait que « bon an, mal an » les choses se passaient plutôt bien. Cependant la fin du XIXème siècle vit une augmentation soudaine du trafic batelier. Le développement d’industries nouvelles tout au long de la vallée, s’accompagna de cargaisons de natures diversifiées dont les volumes allèrent en augmentant.
La réalisation du canal alimentaire entre Couilly et Esbly, pourvu d’une écluse conforme aux normes modernes, autorisait la remontée de péniches de gabarits conséquents jusqu’à Couilly et au delà des péniches de dimensions plus modestes dépassaient Crécy pour remonter jusqu’au Moulin du Coude. L’augmentation du trafic dans la période située entre 1890 et 1899 fut donc à l’origine du conflit que nous avons évoqué plus haut. Le préfet trancha avec un arrêté qui, au dire de certains, apportait plutôt de l’eau au moulin des meuniers, au détriment des bateliers. Les mesures de régulation de la navigation ne visaient toutefois que les périodes d’étiage, périodes estivales définies par un faible débit , inférieur à 2,5 mètres cubes par secondes. Sans rentrer dans le détail, il est intéressant de noter que le décret limitait les franchissements de barrages à 5 dates par mois dans un sens et 5 dates dans l’autre sens. Les bateliers étaient également contraints de se regrouper en convoi pour franchir rapidement les portes à bateaux dans un creneau horaire d’une heure maximum. Il s’agissait de limiter les « pertes d’eau » au niveau des seuils longues à se « reconstituer » avec un faible débit. |
Le Canal du Grand Morin (canal alimentaire)
Le Canal du Grand Morin de Saint Germain à Esbly, long de 1, 8 km a été mis en service en 1846. Il permettait aux embarcations de passer du Grand-Morin, au canal de Chalifert, puis de rejoindre la Marne. Sa seconde fonction était de maintenir un niveau d’eau constant dans le canal de Chalifert, lorsque la Marne ne pouvait plus l’assurer. Cette fonction justifie son nom de branche alimentaire. Le Canal était équipé à Saint-Germain d’une écluse au standard national, le gabarit Freycinet. La création du canal a permis de dynamiser une activité de transport fluvial significative. Le port de Saint Germain situé en amont de l’écluse était , comme on le voit sur les cartes du début du XXéme siècle, encore très encombré par le stockage de matériaux et de bois sous différentes formes.
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Cette balade créçoise en cartes postales anciennes, a pour but de vous faire découvrir ce que je considère comme les témoignages les plus insolites sur Crécy et notre morceau de vallée du Grand Morin.
Cette sélection de cartes de ce début de XXeme siècle, nous font découvrir les derniers instants de l’âge d’or de la navigation commerciale sur le Grand-Morin. Navigation commerciale ? Qui, à la vue des pêcheurs du dimanche et de leurs amis kayakistes, peut imaginer qu’une telle activité industrielle ait existé et prospéré sur notre cours d’eau, si tranquille de nos jours.
Ces photos sont d’autant plus émouvantes que cette activité vivait ses dernières heures, aprement concurrencée qu’elle était, par l’arrivée du chemin de fer en 1902.
La collection présentée dans cet article est quasiment exhaustive des clichés connus, pris entre le Moulin du Coude et l’écluse de Couilly, c’est à dire sur la partie domaniale du cours du Grand-Morin.
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Nous avons commencé la balade par une anecdote, le fameux conflit entre Meuniers et Bateliers. Pour autant, je n’ai pas pu réunir beaucoup d’informations sur les bateliers du Morin, leurs origines, leurs habitudes de vie et de travail.
Il manque à cet article, un volet humain et cela est tout à fait dommageable, mais à ce stade je ne peux faire mieux. L’auberge de Tigeaux, avec son ancre de marine, témoigne encore de la trace des bateliers qui avaient bien leurs habitudes dans certains établissements "corporatistes". L’observation des noms de certains propriétaires des bateaux, nous laisse penser que les bateliers étaient des gens du coin. A Saint Germain, une péniche amarrée porte l’enseigne « A. LEFEVRE – St Germain » ce qui ne laisse aucune équivoque sur la localisation de l’entreprise. La flûte amarrée sur le pré Manche est originaire de chelles. |
Venons-en aux bateaux que nous avons appelé d’une façon générale : des péniches. Il apparait en fait que les embarcations communément utilisées pour remonter le Morin étaient des « flûtes » de l’Ourcq, et plus précisément des demi-flûtes. La flûte porte bien son nom. Elle est longiligne, effilée. Ces embarcations étaient à l’origine, concues pour naviguer sur le canal de l’Ourcq.
Les demi flûtes avaient une longueur d’une quinzaine de mètres seulement pour une largeur de trois mètres environ. Elles étaient donc tout à fait adaptées aux dimensions de la rivière. Des péniches de tailles plus importantes pouvaient venir jusqu’a Saint Germain en utilisant le canal alimentaire depuis Esbly. Le canal était équipé d’une véritable écluse aux dimensions standards de l’époque (Gabarit Freycinet). |
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Les flûtes de l’ Ourcq
Quelques temps après son ouverture en 1826, il apparait que le canal de l’Ourcq présente une pente trop forte, entre son point de départ et son point d’arrivée. Le courant engendré rend sa remontée difficile. L’ingénieur Emile Vuigner l’équipe alors de 5 écluses de 58 m sur 3,20 m, gabarit hors des standards, la plupart des péniches à l’époque dépassant 5 mètres de large. Du coup les charpentiers de l’Ourcq vont concevoir un type de bateau adapté aux dimensions des écluses du canal. C’est la flûte de l’Ourcq, qui mesure 28 m sur 3 m, de manière à pouvoir en loger deux par sas. La forme très longiligne de ce type d’embarcation lui vaudra le nom de « Flûte ». Les charpentiers concevront aussi la demi-flûte, longue de 14 m. Ce sont des demi-flûtes qui seront utilisées pour naviguer sur le Grand-Morin. La flûte de l’Ourcq est un bateau amphidrôme (réversible). Il se manoeuvre à la perche en étant halé. La flûte d’Ourcq est dépourvue aussi de cabine. Etant donné la briéveté des voyages, les mariniers logent dans des relais au bord du canal. Un chantier naval important était situé à Lizy-sur-Ourcq. Photo rare, extraite de la collection de notre ami plongeur
"Germaine", une embarcation à hauteur du Moulin du Coude, l’extrêmité amont de la zone navigable |
avec sa cabine et son mât …
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On y découvre de nombreuses embarcations de pêcheurs mais aussi une flûte à l’arrière plan
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Les cartes postales ne nous permettent pas de tout comprendre. De nombreuses questions mériteraient d’être approfondies. Ainsi en est-il du fonctionnement des portes à bateaux. Comment les bateliers franchissaient-ils ces passages périlleux, tant à la remonte qu’à à la descente. Il existait vraisemblement différents types de portes. La littérature sur le sujet ne nous apporte que des descriptions assez imprécises.
Les portes les plus primitives étaient constituées de perches ou de madriers de bois qui devaient être mis en place, un à un, soit verticalement, soit horizontalement pour former la porte. Il fallait les retirer de la même façon pour ouvrir (c’est à dire, "démonter") la porte. On imagine le délai nécessaire pour réaliser l’opération …. chômage pour le meunier !
Les mécanismes assez rustiques rencontrés ne permettaient pas de disposer d’une force suffisante pour faire pivoter une vraie porte à contre-courant. La manoeuvre verticale d’une vraie porte, selon le principe de la vanne, était plus simple à envisager, mais le passage du bateau "sous la porte", était-il envisageable ?
Enfin, la littérature décrit un type de porte astucieux qui aurait pu équiper certaines portes de nos moulins. Il s’agit de la porte à double mouvement qui prévoyait dans un premier temps de lever verticalement la porte (pour libérer l’eau) puis en bout de course haute, de la faire pivoter afin de dégager complètement le passage pour les embarcations. La fermeture s’effectuait à l’envers, pivotement de la porte pour la replacer perpendiculairement à l’eau puis descente jusqu’à sa position basse. Génial.
Si des lecteurs disposent d’informations plus précises sur ce sujet qu’ils n’hésitent pas à nous en faire part. Nous pourrons compléter cet article avec leur aide. |
Sources : A Bazin "Etude sur la rivière et la vallée du Grand Morin" 1907
Projet BABEL – Visitez le site du Projet BABEL
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se n’est plus de l’édition ,c’est de l’art
bravo JNA :-e)
Bravo jna :=! Très bel article !
Bravo José magnifique article :-e)
Merci à tous pour votre indulgence
Cela me fait plaisir de vous revoir.
J avais annoncé cet article dans ma « dernière balade crécoise », c’etait en juin 2012 …. il fallait faire quelque chose ! 😉
Bravo à jna pour ce magnifique travail.
J’ai découvert de nombreuses cartes postales ainsi que cette histoire de conflit entre gens de la rivière.
Je suis bien d’accord qu’il dommage qu’on ait supprimé l’écluse du canal alimentaire qui croupit depuis sans servir à rien.
Sur ce même sujet, je recommande ce site avec notamment une page sur le canal de Chalifert : http://projetbabel.org/fluvial/rica_chalifert-canal.htm. On y explique dans le diaporama le fonctionnement avant les années 30 quand il était alimenté par le grand-morin par le canal alimentaire. La construction du barage de Meaux en a enlevé l’utilté.
Super article. Les portes des passages étaient appelées écluses à aiguilles. Il en existe encore sur le Cher (et ailleurs).
Pas de d’écluses à aiguilles sur le Morin mais des portes pivotantes.
Les portes sont équipées de 2 crémaillères qu’il faut remonter et ensuite on fait pivoter la porte.
Remarquable travail de JNA qui a mis du temps de réflexion avant de le publier depuis 1012 (période d’hivernage du site de notre éminent historien du Morin à Crécy?).
😉 😉
Ce genre d’article devrait permettre à ceux qui férus du passé et d’autres plutôt passionnés du présent de créer une rubrique du genre « des racines et des ailes » (comme à la télé) qui permettrait comme cette émission le fait, de relier et comparer la vie et les paysages d’autrefois à ceux du présent.
:#
Espérons que ce retour de JNA à la raison (d’écrire sur le site) perdure. :b
… les bateliers du Grand Morin exclus du PNR
Beau travail bien documenté
Un trés beau document sur l’intérieur d’une demie-flute
Merci scaph77 pour cette précision.