De l’eau aux moulins
Quel créçois n’est jamais allé se promener sur le déversoir du moulin de Voulangis, si facilement accessible à partir du Pré Manche ? Toutes les espèces de pêcheurs viennent y mouiller leur ligne : pêcheurs en goguette, en charentaises, en treillis, en châblis, en bermudas, en bleu de travail, en attente, en dormis. Je les ai observé, leur oeil rivé sur des bouchons multicolores, dans l’espoir de sortir de l’eau qui un vairon, qui une anguille, qui un black pass. L’anguille, j’en parle pour nous faire rêver. Je me suis souvent attardé sur ce déversoir. Quel plaisir que de s’y asseoir, le temps d’une courte rêverie. Je préfère m’y arrêter à potron minet, au moment ou le soleil se lève au-dessus du coteau du bois des morts. Ainsi installé, je passe volontiers de longs instants à observer l’onde imperceptible qui n’anime en rien la surface d’une eau trouble et stagnante.
Nota : Article paru initialement en juin 2012. Il le parait intéressant de le remettre à l’ordre du jour, pour peut être donner des idées aux |
J »ai été longtemps victime de mes émotions, ces élans poétiques inhibant gravement ma curiosité. J »en avais oublié de m »interroger sur la nature et la fonction de cet ouvrage qui barre le cours de la rivière. Lors de ma dernière contemplation, alors que je m’amusais à imaginer le brochet sauteur d’Indiana, tentant de franchir le barrage à contre courant, des questions essentielles me sont enfin venues à l’esprit : à quoi ça sert, comment ça marche, pourquoi ces détritus amassés à la surface de l »eau, à quoi ressemblerait la Venise briarde, si le moulin de Voulangis n »existait pas ou n »existait plus ?
Je vais essayer de répondre à ces questions, à travers une nouvelle balade en cartes postales. Ce sera aussi l »occasion de rendre hommage à nos moulins qui depuis des siècles ont rythmé l »activité humaine le long de la rivière du Grand Morin. Bien sûr, il y a des années que les deux principaux moulins installés dans Crécy ne rythment plus grand chose ; avec un moulin sans roue d’un côté, une roue sans moulin de l »autre. Les moulins de la région produisaient en premier lieu de la farine, mais aussi du tan pour les tanneurs (broyage d »écorce de chêne) ou encore de l’huile de noix. Les moulins faisaient figure d »industries nécessaires et incontournables. De véritables points de passages obligés, tant et si bien que le petit peuple reprochait souvent aux meuniers d’en profiter pour de se livrer à des pratiques pas toujours honnêtes. |
Le moulin dit « de Crécy » était situé sur le bras secondaire de la rivière qui maintient en île l »ancien quartier du château, où s’élève l’église St Georges ("Ile Barassé"). La présence du moulin à hauteur du petit pont de la rue qui conduit à l’église (Rue de Penthièvre), est attestée depuis le moyen âge, notamment à travers des actes émanant d’Hugues de Chatillon, au XIIIème siècle. C »était un moulin "banal", ce qui signifie en simplifiant, qu’il appartenait au seigneur (cf. note (3)). Je ne dispose que de peu d »images de ce moulin, car il n’a pas beaucoup inspiré les éditeurs de cartes postales. Pourtant le moulin de Crécy est resté en production jusqu »à sa destruction par un incendie, survenue dans les années 1960, me semble-t-il (voir appel aux lecteurs en fin d »article).
Illustration 1 : Carte datant des années 60-70 : les bâtiments constituant le moulin de Crécy sont bien visibles sur cette photo (dans le cercle jaune) |
La roue actuelle témoigne de l’emplacement de ce moulin. Je ne suis pas certain qu’il s’agisse d’un vestige authentique. Elle contribue au cachet touristique du quartier, cependant son état se dégrade au fil des ans.
Il subsiste à hauteur de cette roue, une vanne qui retient l’eau du Morin pour créer la chute motrice. A cet endroit, le bras d’eau est plutôt étroit. Il n’était donc pas nécessaire de créer un déversoir, pour barrer le cours d »eau. Il y a tout lieu de penser que la chute d »eau était plus faible sur le moulin d »origine qui a nécessairement fait l’objet de nombreuses transformations à travers les siècles pour bénéficier des avancées technologiques. Peut-être même la roue primitive était-elle alimentée « par en dessous », c »est-à-dire entraînée par la seule force du courant, favorisé par la configuration du lieu, c »est à dire l’étroitesse du bras de rivière canalisé. |
Selon Bazin (1), l’existence du moulin de Saint Martin est attestée à partir du XVIème siècle, seulement. Cela ne veut pas dire qu’il n’a pas été construit un peu plus tôt, mais il n’était vraisemblablement pas en place au moyen âge, quand la cité de Crécy a été fortifiée. C »est pourquoi je me demande dans quelle mesure les fossés de Crécy étaient remplis d »eau quand ils ont été aménagés. J »ai tendance à croire que les fossés étaient alimentés d’une façon « naturelle », plus ou moins remplis, selon les saisons et la pluviométrie. La contribution de l’eau à la défense de la ville était sans doute aléatoire. En effet, le « remplissage » artificiel des fossés aurait supposé la création, sous une forme ou une autre, d »un barrage en aval de la ville, voire à hauteur de la ville. Toutefois, en cas de siège, ce barrage se serait retrouvé très exposé à l’ennemi qui n’aurait eu qu’à ouvrir les vannes ou créer une brèche pour vider les fossés de Crécy en quelques minutes.
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En devenant navigable ce tronçon de rivière fut de fait attaché au domaine royal. Aujourd’hui encore, même s’il a perdu son classement de rivière navigable (il a été déclassé en 1926, srce CREGM (2)), le Grand Morin conserve de ce royal attachement, le statut de rivière domaniale. Le Grand Morin -sur notre territoire- est donc propriété de l’état et non des riverains. Ceci n’est pas sans conséquence sur la gestion de la rivière,des accès et des berges que se sont parfois appropriés certains riverains en violation des servitudes existantes.
Contrairement au moulin de Crécy, le moulin de Saint-Martin a été beaucoup photographié, preuve évidente d’un attrait touristique de longue date. Avant d »écrire cet article, je suis allé rendre visite à Bernard Gourbaud, son propriétaire depuis plus de trente ans qui m »a reçu fort gentilllement. B. Gourbaud y a aménagé deux chambres d’hôtes, deux chambres de charme, véritable havre de paix pour les touristes de passage.
Renseignements auprès du propriétaire du Moulin de Saint-Martin Tel: + 33 (0)1 64 63 69 90
e-mail : moulindesaintmartin@orange.fr Illustration 6 : cpa Editeur Naret: le moulin de Saint-Martin vu depuis l »aval. On reconnait bien le pignon sud du moulin représenté sur le tableau de l »llustration précédente 5. La position des deux fenêtres est caractéristique. Cependant nous constatons qu »il existe sur ce cliché des batiments à droite du pignon qui ne sont pas représentés sur le tableau. Cette photo nous permet de prendre conscience de la taille du batiment : sa longueur, et deux chiens assis sur le toit. |
Vivre sur une île, à hauteur du Grand Morin constitue à n’en pas douter une expérience originale, bien agréable. Pour autant le propriétaire conserve à l’esprit de nombreux épisodes humides, liés à la montée subite des eaux, à l »occasion des grandes inondations. Les informations communiquées par B. Gourbaud m’ont permis de comprendre ce qui était advenu du moulin au début du siècle dernier. L’observation des cartes postales avait bien révélé l »exécution de travaux sur l »ouvrage entre 1904 et 1910, mais je n’avais pas pris conscience de l’importance de la transformation.
Quand j’ai demandé au propriétaire de m’indiquer l »endroit où était installée la roue du moulin, B. Gourbaud m »a expliqué qu’une partie importante du moulin avait été abattue à la fin du XIXéme siècle : l »extrêmité du bâtiment située en amont, celle qui accueillait justement la roue et les meules.
La série de cpa que je présente dans l »article nous permet de visualiser les transformations effectuées en plusieurs temps. Bilan de cette restructuration architecturale, le bâtiment d’origine a été sérieusement raccourci !
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plan : FNA |
Il subsiste du moulin deux éléments essentiels pour nous : le déversoir (encore appelé seuil, glacis, barrage) construit en maçonnerie et deux vannes, une petite placée dans le prolongement du déversoir, une seconde, plus grande qui coupe le lit de la rivière, perpendiculairement au déversoir.
Quand on observe cet ensemble (par exemple, un jour de fête de la pêche), on s’aperçoit que l’eau est complètement arrêtée, bloquée au niveau du moulin (conséquence visible, les détritus de toutes sortes, amassés à hauteur de la vanne). Si l’on excepte quelques pertes dues à des fuites dans la maçonnerie du seuil ou à travers une des vannes, en mauvais état, l’eau est retenue par cet ensemble faisant barrage. En situation normale, l’eau ne franchit ni le seuil ni les vannes. Ce n’est bien entendu pas toujours vrai, en particulier quand le débit de la rivière augmente d’une façon importante et encore moins en cas de crue. Du coup, on peut observer des amoncellements de détritus le long de la vanne. Quant au Morin, en amont du barrage, la quelité de son eau n »est pas plus satisfaisantes.
Mais alors, par où l’eau passe-telle ? L’essentiel du débit du Morin s’échappe par les branches secondaires de la rivière, c »est-à-dire les 3 brassets . Les hauteurs des barrages et des vannes installés sur les brassets (cf . l’article précédent « histoire de vannes ) sont réglées de telle sorte que l’eau qui traverse Crécy puisse continuer son chemin vers l’aval, sans déborder !
Illustration 8 : Sur cette illustration, les partie colorées en bleu et jaune seront détruites lors du démantèlement du moulin. La destruction aura lieu en deux temps : les éléments en bleu d »abord (fin XIXéme sans doute) Puis la partie avant du batiment (en jaune) sera détruite plus tard, après 1904 … |
La vanne moderne est équipée d’un moteur électrique (motorisation réalisée par la Mairie de Crécy ou le syndicat des eaux) et c’est la municipalité de Crécy qui a en charge de la manoeuver, en particulier en cas de crue. Pourtant, les vannes et le seuil d’un moulin appartiennent en théorie aux propriétaires des moulins. Les meuniers étaient obligés de maintenir leurs installations en bon état de fonctionnement, en échange du droit d’exploiter la force motrice de la rivière. Aujourd’hui les moulins n’appartiennent plus à des meuniers, et les propriétaires qui les occupent ont parfois perdu de vue leurs obligations. Certains font parfois preuve d’irresponsabilité en se portant acquéreurs de tels ouvrages dont ils ne perçoivent pas tous les contraintes et devoirs attachés. Les moulins n’ont pas été construits pour en faire des résidences de loisirs mais des outils productifs, des usines.
Les aspects juridiques sont complexes et la tendance observée qui consiste à diviser les bâtiments en appartements pour les revendre à des propriétaires particuliers, ne va pas simplifier les choses. Disons-le, nombre de vannes et déversoirs ne sont plus entretenus par leurs propriétaires qui attendent peut-être que les collectivités fassent le travail à leur place. |
Crédit cartes postales anciennes : JNA
Bibliographie :
(1) A BAZIN : Sous Ingénieur des Ponts et Chaussées : Etudes sur les rivières de la Valmée du Grand Morin
(2) Centre de recherche et d Ȏtude sur le Grand Morin : http://cregm.free.fr/
(3) Les banalités sont, dans le système féodal français, des installations techniques que le seigneur est dans l »obligation d »entretenir et de mettre à disposition de tout habitant de la seigneurie. La contrepartie en est que les habitants de cette seigneurie ne peuvent utiliser que ces installations seigneuriales, payantes. (précisions CREGM)
Le moulin en 2006 (photo IndianaJones)
Moulin de Voulangis
L »effet des barrages et la retenue des déchets, naturels ou pas …
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Sacré travail !
Un excellent article sur ces moulins, très documenté.
A propos du moulin de Voulangis, parmi les articles où il fut cité, je vous rappelle celui-ci, avec des photos anciennes, qui ne sont pas des cartes postales, mais qui le représentent bien, sans oublier le tableau :/wordpress/?p=1311
excellente idée. Comment ai-je pu oublier de reprendre ces photos !
J’ai l’impression que l’on voit encore la roue sur une des photos
Par ailleurs, l’image du Morin réduit à un filet d’eau est toujours saisissante
Merci José pour ce voyage au fil du Grand Morin. D’ailleurs, mon kayak est toujours prêt pour une petite virée ! 😉
Comme quoi, tout est une question de niveau, même pour l’eau.
C’est vrai que mon histoire de brochet peut laisser perplexe, mais, tout comme j’ai pu être surpris de pouvoir observer cette migration, j’en ai gardé un cliché, pas terrible certes, mais… vu d’un brochet d’une cinquantaine de centimètres ! 😀
bon boulot JNA ,une preuve de la dégradations de la qualité de l’eau suite au cloisonnement du cours d(eau redonner un aspect naturel à la rivière aurait pour effet d’éviter ses hauts fond à certains endroit de plus de 5à6 mètres de profondeurs le réchauffement de l’eau qui à un effet d’eutrophisation donc développement des herbiers ,des micros algues , donc dégradation physico-chimique de la qualité de l’eau on aperçois comme tu le souligne le non respect des droits de passage par certains propriétaires ,droits de passage depuis la nouvelle LEMA(loi sur l’eau et les milieux aquatiques) de 2006 qui stipule le droit de passage pour les pêcheurs ainsi que les piétons sur les bord de cours d’eau du domaine publique .
en redonnant un aspect naturel à notre rivière et la continuité écologique ainsi que la libre circulation des espèces menacés ,le monde de la pêche pourrait continuer ses actions à développer le tourisme dans notre régions qui vu le nombre de pêcheurs en France est un atout majeur .bientôt je vous transmettrait la lettre Morinf’eau du sage des deux morin ,document que vous pourrez mettre en ligne
nombre de cartes de pêche vendues en 2011 toutes cartes confondues 17646 pour un montant environ de 837000 euros ,Premiers point du questionnaire 66 pêcheurs interrogés sur notre département dépense moyenne environ 500 euros/an .
Enquête sur le poids économique de la pêche de loisir en eau douce
Le Conseil d’administration de la FNPF engage une étude sur le poids économique de la pêche représentée par les structures associatives de pêche de loisir en eau douce. Elle vise à établir un chiffrage de l’apport de notre activité à la création de richesse française.
Un questionnaire à destination des pêcheurs a donc été élaboré. Il permettra d’évaluer, sur la base de leurs déclarations, les différents postes de dépenses (consommables, matériel, nautisme, abonnements divers et achats de DVD, journaux etc.., tourisme, déplacements, restauration, hébergements, guide de pêche).
Nous invitons les pêcheurs qui souhaitent particpier à cette enquête à télécharger le questionnaire, le compléter et le renvoyer au siège de la Fédération Départementale de Seine-et-Marne (13 rue des Fossés, 77000 MELUN), qui se charge de centraliser et coordonner les envois à destination de la Fédération Nationale pour la Pêche en France.
Le Conseil d’Administration de la Fédération de Pêche de Seine-et-Marne remercie d’avance tous les pêcheurs qui apporteront leur contribution à cette enquête.
Je pense que nous devrions consacrer un article à ce sujet qui pourrait constituer un véritable fil rouge pour le volet environnemental (et par voie de conséquence sur celui du développement touristique) du PNR (histoire de penser à la future charte), fil rouge d’autant plus justifié qu’il concerne le coeur même de ce PNR, les DEUX Morins. Mais sur ce point « environnemental » je suis assez inquiet car je pense qu’il n’y aura pas grand monde au sein des élus pour porter avec conviction ce sujet. Un PNR oui, mais à condition de ne pas trop changer les habitudes notamment en termes d’agriculture, …
Maintenant qu’il a terminé son job, je peux dire que mon fils a fait une petite étude sur ce sujet et du coup a rencontré beaucoup d’acteurs : Syndicats des eaux, SAGE, propriétaires de moulins, Office du tourisme, associations ;pêcheurs, amoureux du Morin, kayaks (St Germain uniquement). Intéressant !!!!
Je trouve que ta description de l’épopée du brochet pour franchir le barrage est tout à fait révélatrice et illustre très bien la question de la continuité écologique. Pour faciliter le passage des bebetes, c’est tout bête, il est possible d’aménager des passes à poissons, sortes de petits escaliers solution pas trop lourde à mettre en oeuvre qui ne demande pas qu’on arase un barrage. Au niveau du seuil du moulin de Saint Martin, une petite passe à poissons permettrait également de créer une fuite d’eau qui redonnerait un peu de courant, en amont et en aval dans le bras de contournement du moulin.
le grand problème de ses cloisonnement et le réchauffement des eaux =détérioration de la qualité de l’eau ,rivière avec une physionomie forme un U qui contribue à l’accélération des inondation
Informations communiquées par M. GOURBAUD après lecture de l’article :
Lorsqu’il a brûlé, le moulin de Crècy n’avait plus une activité de moulin, mais il était transformé en une petite usine de fabrication de sacs publicitaires en plastique si ma mémoire est bonne (Ets HAUTEFEUILLE). Le dernier meunier et propriétaire a été Mr BICHAT successeur de son beau-père Mr CARRE.
Merci pour ces précisions.
:-d) reste à préciser la date de l’incendie …
et le nom de l’incendiaire …
je rigole. Mais c’est vrai que des sacs en plastique qui brulent, cela peut expliquer l’incendie, plus facilement que de la farine.
Quoique peut-être la cause est connue ?
oui la continuité écologique grand débat un enjeux majeur une obligation dans les SAGES je travail pour son rétablissement .
Beaucoup d’élus vont à l’encontre de son rétablissement ainsi que certains syndicats de rivières .
je suis entrain d’envisager une réunion grand public avec maquette afin de montrer le besoin de son rétablissement ainsi que vidéo projection sur les méfaits des installations en places sur la vidéo le rétablissement avec des travaux sur un moulin afin de rendre la liberté de la rivière .
de plus les derniers évènements climatiques vu a la télévision en Bretagne et dans le sud .nous montre bien que les digues ,barrages merlons et tout ce qui pouvait faire espérer aux personnes d’être à l’abris de catastrophe naturel était que pure fiction