Du côté de la rue Serret, du bourg
Voila près d’un quart de siècle que « la rue du Bourg » a recouvré la lumière, suite à la démolition de l’ancien Hôtel de Ville, flanqué de sa tour Prison.
Quelques vieux ronchons regrettent ce bâtiment et son charme désuet. Faisons fi de cette résistance au changement et de toute nostalgie
La « rue du bourg » est maintenant aérée, dégagée et le pont du marché, rénové lui aussi, a fière allure avec ses garde-corps métalliques solidement rivetés.
C’est le progrès, la Venise briarde est bien dans le ton.
L’espace libéré par la tour de la prison fait l’objet d’un projet patriotique très remarquable. Prochainement y sera édifié un mémorial consacré aux créçois morts pour la patrie lors de la guerre de 1870. Ce sera grandiose !
De plus l’endroit offrira un petit square verdoyant, entouré de tilleuls qui feront de l’ombre aux clients attablés en terrasse du Café. Quelle convivialité !
De toute évidence, ce siècle commence bien, du côté de la « rue du Bourg ».
Certains considèrent toutefois, que le nom de la rue, n’est plus en phase avec sa nouvelle ambition. La rue du Bourg évoque le vieux quartier qu’elle traverse et avec lui un passé qui nous plonge dans les dédales tortueux du moyen âge. Aussi, sous l’impulsion des cafetiers et des dynamiques commerçants de la rue, un concours a-t-il été lancé par le conseil municipal pour trouver un nouveau nom à cette artère.
Du coup, chacun y va de son idée, de sa vision, de ses convictions …
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Voici pour commencer l’entrée de la rue, vue de la rue, donc, le pont du marché !
Notons l’orthographe curieuse "SERREZ", fallait-il le faire ?
En tout cas, la diligence de Crécy à Esbly est en attente de voyageurs devant l’actuelle ex-Maison du Tourisme …
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<< Les républicains ont proposé une « Rue de la République », sans surprise, car la présence de la république manque un peu dans la ville. D’autant que les derniers royalistes ne sont pas en reste. Ils ont opté pour une « Rue des Châtillon », en souvenir des prestigieux seigneurs de Crécy; rien à dire sur le fond, c’est historique et local. Les paroissiens, assidus du bénitier, ont eu la vision d’une « Rue Saint Georges », mais leurs prières seraient totalement exhaussées par une « Rue du Paradis ». La « Rue d’Alsace Lorraine » est sans contredit, l’appellation la plus appropriée pour accueillir le mémorial de 1870, c’est l’avis du Club des Patriotes. Les artistes qui battent le pavé créçois, soutenus par une de nos éminentes forces vives, se verraient bien siroter une absinthe ou un ballon blanc dans les buvettes de la « Rue des Arts », tout en refaisant le pays briard. Plus pathétique, un étranger à la commune, arrivé il y a une vingtaine d’années, visiblement mal intégré, a proposé une « Rue de Couilly », inconscience ou provocation ? Dans ce contexte de pur caquetage, Arsène Galinace suggère pour finir, la « Rue des cocottes », une simple boutade de cuisine que certains considérèrent pourtant comme un nouveau coup de génie de la part du restaurateur.
C’est fait, le Conseil Municipal a tranché. Soucieux de préserver la paix civile et l’unité des créçois, celui-ci a trouvé une porte de sortie honorable grâce à une proposition de dernière minute, formulée par le Comité de Bienfaisance.
Une appellation qui ne risque pas de susciter des jalousies, ni de rouvrir des plaies anciennes, ou de réveiller des conflits en sommeil, … imaginez que l’on pourrait bien dans un proche avenir, aller jusqu’à la séparation de l’église et de l’état ! Alors, oui, le nom proposé par le comité, a toutes les vertus requises pour susciter une bienveillante indifférence de la part de tous les concurrents. A l’occasion du 40 ème anniversaire de sa mort (1861), c’est l’occasion idéale de rendre hommage à François Valentin Joseph SERRET, né à Valenciennes, bienfaiteur de nos pauvres. Personne ne le connait vraiment, personne ne peut donc en vouloir à personne … l’idée est brillante ! Ouf, Crécy peut se rendormir en paix. >>
Voici comment le correspondant du journal local, « les potins briards » relatait, en 1901, cet évènement mémorable de la vie créçoise de ce début de XX ieme siècle que nous sommes sur le point de revivre. Ce concours d’idées, absolument véridique et historique nous montre que l’histoire est bien un éternellement recommencement.
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Voici donc une bonne occasion de nous intéresser à cette rue créçoise et d’effectuer une nouvelle balade en images, dans le Crécy des cartes postales anciennes.
Rendons-nous 110 ans en arrière, dans la toute nouvelle rue Serret, pour voir à quoi elle ressemblait alors, si tant est qu’elle ait vraiment changé, car nous le savons, la Venise briarde n’est pas très changeante.
C’est à l’entrée de la rue, ou sur le Pont du Marché que les photographes posent en général leurs lourds appareils. La rue n’est pas bien longue jusqu’à la Place Camus et la perspective est intéressante. A gauche, impossible de l’ignorer. Dressé au milieu de la place de l’ancien hôtel de ville, voici le solide monument de marbre rose, dédié aux soldats morts pendant la guerre de 1870-71 et plus généralement, au-cours des campagnes militaires du second empire.
De tels mémoriaux sont assez rares en France et c’est bien entendu ce qui fait l’intérêt patrimonial de cet obélisque créçois. Le monument a été inauguré le 11 septembre 1904 par le député Gaston Menier, à l’occasion d’une grande manifestation commémorative et patriotique. Je ne serais pas étonné que le retour de l’Alsace Lorraine au sein de la Fance, ait été évoqué dans les discours officiels.
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Riche en couleurs, discours et fanfares.
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Les noms de 72 soldats morts au combat, sont gravés dans le marbre du mémorial. Une plaque de bronze présente un joli bas relief sur lequel est inscrit "Aux mobiles de la compagnie de Crécy – morts pour la Patrie". Alors pour les besoins de cet article j’ai cherché à en savoir un peu plus sur ces « mobiles ».
Qui étaient les mobiles de la compagnie de Crécy ?
Les mobiles ou « moblots » (comme ils s’appelaient familièrement entre eux), faisaient partie de la garde nationale qui constituait en quelque sorte, la réserve de l’armée d’active. Les moblots étaient des chanceux. En effet, ils faisaient partie de ceux qui n’avaient pas été « tirés au sort » et avaient échappés du même coup, à 7 années de service militaire dans l’armée d’active. Ceux qui d’une courte paille ont été tirés, ont vu du pays, en participant à des guerres lointaines hors de nos frontières : Crimée, Italie, colonnies, … et du coup, ils ont fourni l’essentiel des 72 noms, du monument. Revenons à Nos "moblots", les "moblots" du canton. Ces réservistes ont été regroupés au sein d’un des régiments de la garde nationale de Seine-et-Marne, pour former la compagnie des mobiles du canton de Crécy. Ainsi, tous les hommes du canton mobilisés étaient-ils réunis dans la même unité.
Cette troupe comptait 160 moblots briards auxquels il fallait ajouter 8 caporaux, quelques sergents, des chargés d’intendance, un tambour (un certain Alfonse Grenier de Villiers), 2 lieutenants (dont un de Moustier), et leur capitaine, commandant de la compagnie, un certain Louvrier de Lajolais. Ce dernier, devenu par la suite, Directeur des Arts décoratifs de Paris, offrit en 1904, le fameux bas relief de bronze qui orne le monument. |
Carte 6 :
CRECY en BRIE- Inauguration du Monument des combattants de 1870 . BF Editio -ns |
La compagnie a été constituée le 21 aout 1870 à Meaux, après la défaite de Sedan, pour s’opposer à l’invasion prussienne. Elle a été licenciée le 5 mars 1871 au lendemain de la fin officielle des hostilités. Elle est rentrée à Meaux en bon ordre, par le train, au départ de la Gare de l’Est. Tout au long de cet demie année de combats, elle a très activement participé à la Défense de Paris et de sa région. Elle s’y est même distinguée, dit-on.
Au final la compagnie compta une vingtaine de victimes, dont 4 morts ou disparus et le reste de blessés plus ou moins graves. Ces informations sont issues d’un ouvrage d’Alfonse Grenier publié en 1874, intitulé : « Journal d’un mobile de Seine et Marne – A la défense de Paris – ‘Compagnie du canton de Crécy’ » Ce journal propose également la liste des noms de tous les mobiles qui formaient la compagnie, officiers et hommes du rang. Nous y trouvons par exemple des Grenier, de Moustier, Vaudescal, … Il relate la vie des frères Grenier pendant cette campagne. Une drôle de guerre au-cours de laquelle, il arrivait que les familles des soldats viennent leur rendre visite pour une promenade dominicale sur les grands boulevards. Ce document est consultable en ligne sur le site Gallica de la BNF : Accéder à Gallica.bnf : Journal d’un mobile
La carte postale de l’inauguration du 11 septembre 1904 (carte 5) est assez facile à trouver. Il existe une autre carte (carte 7) que l’on peut confondre avec la première. Il semble qu’elle ait été prise sous un angle identique pour figer dans la plaque, une autre manifestation patriotique Cette seconde photo est beaucoup plus rare. Elle témoigne de la commémoration du premier anniversaire de l’inauguration du monument, en septembre 1905. L’histoire ne dit pas si la commémoration de l’anniversaire a perduré et si oui, pendant combien d’années.
En revanche, le monument a bien failli quitter la place de l’ancien Hôtel de ville à la fin du siècle dernier, dans les années 1990. La municipalité d’alors avait envisagé de le déplacer dans l’ancien cimetière de Crécy, en bas de la côte de Voulangis. L’idée était de faire de la place pour faciliter l’accès au petit parking situé juste derrière le monument, en-cours de création alors. Finalement, un compromis a été trouvé pour créer un passage tout en laissant le lourd obélisque en place et je pense que c’est mieux ainsi.
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ainsi font les fillettes du pont …
Mais où sont les hommes?
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Tournons notre regard, droit dans l’axe de la rue Serret. Cette rue, depuis le Pont du Marché jusqu’à la place Camus, est une des plus courte de la ville, composée d’une vingtaine d’immeubles tout au plus. Jusque dans les années 1880, elle commençait à hauteur de l’hôtel de ville sous lequel elle passait. Rien d’étonnant donc à ce qu’elle se soit longtemps appelée "Rue de l’Hôtel de ville". A la suite de la destruction de bâtiment municipal, son nom fût logiquement actualisé en "Rue de l’ancien Hôtel de ville", et resta inchangé de 1881 à 1896. Le nom de "Rue du Bourg", en référence au nom de l’ancien quartier, n’apparaît que dans le registre de recensement de la population de 1901. Toutefois nous disposons d’éléments cadastraux (plan de 1833 ci-dessous) qui laissent penser que c’était déjà le nom qu’elle portait dans la première partie du XIXème siècle. Enfin, le dernier changement de nom, est survenu entre les recensements de 1901 et 1905.
Le nom de SERRET fut donné en l’honneur de François Valentin Joseph SERRET, bienfaiteur de notre ville, né en 1797 à Valenciennes et décédé à Crécy le 20 juillet 1861. L’anecdote relatée en début d’article a bien entendu été librement inspirée de la réalité, encore que …
La carte 8 est la plus ancienne de la série de trois cartes suivantes (8-9-10). Elle fut vraisemblablement éditée en 1904. La café, tabac "La Civette" est tenue par Robert Brouet. Dans le prolongement de cette boutique, sur le côté gauche de la rue, un détail mérite notre attention. Nous distinguons une maison qui "avance sur la rue". Son pignon, orné d’une réclame du Chocolat Menier (celui du député) fait saillie, à tel point que le trottoir butte sur le mur et disparait. Gare, piétons ! car pour contourner l’obstacle il faut longer la façade de l’immeuble en marchant sur la chaussée pavée.
Quelques années plus tard, sur la carte 10, l’alignement des immeubles est parfait. La façade de la maison a été frappée d’alignement et a été reculée. De gros travaux ont été nécessaires pour obtenir ce résultat. La maison a bénéficié d’une nouvelle décoration, sans doute plus bourgeoise que la précédente. Cet immeuble abrite aujourd’hui la boutique de "Mémoire visuelle", et avant cette enseigne, une boucherie est restée en activité jusque dans les années 2000.
En ces temps reculés, le la cpa, la rue était commerçante. En 1901, la boutique de marbrerie était déjà présente, tenue par un certain Arsène Hudin qui cinq années auparavant apparaissait comme "Tailleur de pierres" dans le registre de rencensement. Il y a avait aussi un boulanger (à la place du toilettage canin) , le café Delaplace, une épicerie, un magasin "mode et nouveautés", un coiffeur, un sabotier, aussi un pharmacien, mais aussi des domestiques, des ouvriers;
Alors il y avait affluence quand tout ce petit monde sortait dans la rue, en rang serré, pour immortaliser un instant de vie créçoise, dans la boîte à images du photographe.
J. Navarre |
Carte 9 : Crécy en Brie – La rue Serret – Editeur : Pinoy – Année : proche de 1920
Cette carte est pour moi une des plus belles cartes anciennes de Crécy.
Toute le rue Serret est sortie … dans la rue pour prendre la pose. Ces créçois venus d’un passé pas si lointain, sont à la fois proches de nous et tellement irréels. Difficile d’imaginer que la scène se déroulant autour de la table du café-épicerie ,ait eu une quelconque réalité, en regardant aujourd’hui le "lavomatic" en ruine. La caisse portant la mention MOTO NAPHTA indique le magasin vendait des bidons d’essence pour automobiles. Moto Naphta était une marque de carburant vendu à l’époque en bidons de 5 litres que l’on achetait au garage ou chez l’épicier. |
Le café DELAPLACE, une maison déjà présente en 1900 –
Cet établissement est à l’abandon depuis des années, il a termisé sa carrière sous l’enseigne "la Venise briarde"
A gauche la vitrine de l’ancienne boucherie – mais qu’est-ce qui a vraiment changé ?
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Crédit cpa : collection Jna
Nos remerciements à Elisabeth Landrieux qui nous a mis sur le piste de François Valentin Joseph Serret
Sources :
– Grenier : « Journal d’un mobile de Seine et Marne – A la défense de Paris – ‘Compagnie du canton de Crécy’ »
– Archives départementales de Seine et Marne
– Crécy et ses Environs : R.C. Plancke Editions Amatteis
Ci-dessous un tableau qui permet de suivre l’évolution des noms de quelques unes des rues de Crécy depuis 1846 à 1901. Les informations sont extraites des recensements de population (listes nominatives, par canton) qui sont disponibles, en ligne, sur le site des Archives départementales de Seine et Marne.
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illustration 11: CRECY en BRIE – extrait du plan cadastral de 1833 Srce Archives départementales du 77
La" Rue Serret" s’appelle "Rue du Bourg" à c"ette époque
A noter que la "Place Camus", a remplacé la "Place Lafayette"
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(article vu 116 fois)
Le jna nouveau est de retour, j’adore ! :=!
Superbe !!
Très beau travail ,détaillé complet merci .
Juste :encore merci à Mme Landrieux qui a allumé la lumière mais c’est,modestement,ma pomme ,qui vous est mis sur la piste ,comme quoi l’ignorance à parfois du bon.
Sans oublié Mr Lion qui , peut être involontairement ,a déclenché, cette belle réflexion.
Cordialement.
Jean.
Bravo José :-e)
C’est vrai vous avez lancé le sujet et pour le coup vous m’avez fourni mon angle d’attaque …
Quant à M. Lyon, vous avez sans doute notez la référence à un personnage qui pourait être ou son ailleul ou son mentor … meme si toute ressemblance avec des personnages existant ou ayant existé …
Du grand jna ! et sacrément documenté, un monument; dirais-je !
Et de la lecture fort instructive pour le week-end.
Heureux que cela vous plaise, c’est mon cadeau de Noël.
Cela me fait plaisir de faire partager ma collection d’images avec vous, ça ne servirait à rien qu’elle reste dans son album !
vraiment bien , bravo; il n ya plus qu a remettre un pub et une terrasse à la place de la laverie ! :b