On the edge of the war zone – chapitre 35
CHAPITRE XXXV
26 février 1917
Que supposez-vous que j’ai fait depuis la dernière fois que je vous ai écrit ? En fait je suis allée au théâtre pour la première fois en quatre ans ? Auriez-vous jamais cru que je pourrais rester sans théâtre pendant si longtemps ? Quand même je suppose qu’aller au théâtre pour voir une sorte de spectacle de variétés vous semble, à vous qui continuez probablement à y aller une ou deux fois par semaine, une expérience fade. Bien, vous pouvez aller à l’opéra, ce que je ne peux pas faire. Mais vous ne pouvez pas voir les héros de Verdun, non seulement applaudir un spectacle, mais le donner, et c’est ce que j’ai fait, non seulement une fois mais deux depuis que je vous ai écrit. Je suis sûre de vous avoir dit que notre hôpital de campagne était dans la salle des fêtes de la commune, qui est une petite pièce rectangulaire avec une scène à une extrémité. C’est la seule chose se rapprochant d’un théâtre dont la commune soit fière. Elle est bien éclairée, avec de grandes fenêtres sur les côtés, et une lumière au-dessus de la scène. Elle est presque neuve et les murs et le plafond pointu sont recouverts d’un bois du Canada qui ressemble à de l’érable moucheté, mais n’en est pas. |
C’est dans cette salle que les matinées qui sont données tous les autres dimanches après-midi ont lieu. Elles sont dirigées par un Lieutenant-colonel qui assume cette tâche avec un grand enthousiasme, et réalise vraiment un programme de première classe.
Les garçons font le dur travail, et le personnel de l’hôpital de campagne aide et encourage avec beaucoup de bonne humeur, bien que ce soit très ennuyant. Mais c’est pour l’Armée, et, en ces jours, ce que l’Armée veut, elle doit l’avoir. Heureusement les hommes de notre hôpital de campagne, sont, pour le moment, convalescents, ou, de toute façon, capables de s’asseoir dans leur lit, et de supporter l’agitation. Aussi les lits des quelques uns qui ne peuvent pas être habillés, sont poussés contre la scène, et autour de leurs lits de camp il y a les chaises et les bancs de leurs camarades convalescents. Les autres lits sont enlevés. Le grand orchestre militaire est poussé dans un coin de la pièce. Il y a des chaises pour les officiers de l’équipe, et leurs quelques invités. Ils sont rarement plus d’une demi-douzaine de civils. A côté des chaises réservées il y a quelques bancs pour les Capitaines et Lieutenants, et le reste de l’espace est pour les poilus qui sont autorisés à accourir quand les portes sont ouvertes. Naturellement la pièce est beaucoup trop petite, mais c’est la meilleure que nous ayons. Les larges portes sont laissées ouvertes, ainsi que les larges fenêtres, et les garçons sont même autorisés à se jucher sur le mur face à l’entrée d’où ils peuvent voir la scène. Tout le programme est donné par les poilus. Un seul artiste avait un galon sur sa manche, bien que beaucoup d’entre eux portaient une décoration. Ce que je trouve le plus beau est que tous les officiers assistent au spectacle, et applaudissent comme des fous, même les Généraux aux cheveux blancs qui en criant « bis, bis » avec les autres ne se montrent pas rétrogrades. Les officiers ont l’amabilité de m’inviter, et sur la carte qui est sur ma chaise il y a écrit « Maîtresse Aldrich ». N’est-ce pas Shakespearien? Je m’assieds au milieu des officiers. J’ai généralement un Commandant d’un côté, et un Colonel de l’autre, et toutes sortes de galons dorés autour de moi, que je compte avec curiosité, maintenant que j’ai appris ce qu’ils signifiaient, comme j’essaie subrepticement et sans succès de découvrir les marques que cette guerre a laissées sur leurs visages. La vérité est que la salle est toute aussi intéressante pour moi que le spectacle, aussi bon soit-il, avec un professeur de musique beau et fin jouant du violon, un acteur du Palais-Royal ayant une diction tout à fait remarquable, deux gymnastes célèbres excellant dans des exercices aux barres parallèles, un élève primé du Conservatoire de Nantes, jouant, comme seulement les Français le font, dans une petite comédie bien connue, deux acteurs talentueux et drôles récitant des monologues du genre de ceux qu’on entend à la Scala, (ancien café-concert parisien), et bons comme je n’en ai jamais entendu ici, et un orchestre de régiment qui joue remarquablement de la bonne musique. Il y a même un Prix de Rome dans le régiment, mais il est en congé, aussi je ne l’ai pas encore entendu. Je me demande si vous saisissez ? Réalisez-vous que ces soldats sont dans les rangs de la Défense Française ? Pensez à ce que la vie dans les tranchées signifie pour eux ! Il y a même des artistes parmi les poilus pour réaliser des décors. Ainsi vous voyez c’est une chose d’aller au théâtre, et tout à fait une autre de voir les soldats de Verdun donnant un spectacle devant un tel public, les hommes venant des tranchées allant jouer dans l’esprit le plus noble et la plus grande bonne humeur. La première expérience de ce genre fait que j’ai hâte de vous avoir ici. C’est un spectacle que je n’aurais pas cru possible en ces jours et sous ces conditions si je n’y avais pas assisté. Dès que les officiers furent entrés et se furent assis, les portes et les fenêtres s’ouvrirent pour accueillir « la vague », et nous nous sommes tous levés et les avons regardé venir. C’était un grand spectacle. Dans l’aile qui est dans le fond du centre de la pièce, il n’y en a qu’une, dans la rangée arrière des sièges réservés, se tenait Mademoiselle Henriette, dans son uniforme blanc, portant des gants blancs, avec la croix rouge attachant son long voile d’infirmière à la coiffe qui couvrait sa jolie chevelure brune . Sa silhouette mince, élancée, blanche, était la seule barrière pour éviter que « la vague » ne se rue sur la scène. Comme ils entraient par la porte il ne semblait pas possible que quoi que ce soit puisse les arrêter, ou même qu’ils puissent s’arrêter eux-mêmes, et je m’attendais à la voir écrasée. Pourtant à deux pieds d’elle la foule s’arrêta. ( le pied, unité de mesure anglo-saxonne, mesure 30,5 centimètres). La ligne de front devint rigide comme de l’acier et retint le reste, et, en une seconde, la vague s’était séparée en deux parties, et elle s’écoulait à l’intérieur des bancs à gauche et à droite, et en moins de temps que cela ne vous prend pour lire ceci, ils étaient entassés sur les bancs, dans les fenêtres, et pendus aux murs. Un curieux murmure, moitié rire et moitié applaudissements, courut dans les sièges réservés, et le grand et mince Commandant à côté de moi disait doucement : « C’est comme cela qu’ils sont sortis des tranchées de Verdun ». Comme je me tournais pour m’asseoir, j’avais, gravée dans ma mémoire pour toujours, cette mer arrivant par vagues successives, de visages français, souriants, rasés de près, aux yeux perçants, tous si jeunes et si gais, dont les yeux avaient quand même vu des choses qui feront une nouvelle France. Je vous envoie le programme de la seconde matinée. J’ai perdu celui de la première. J’aurais vivement souhaité, pour de nombreuses raisons, que vous puissiez avoir entendu la récitation par Brochard de « L’autre cortège » de Jean Bastia, œuvre dans laquelle le poète prévoitle jour « Quand Joffre descendra les Champs-Elysées » sous les cris frénétiques du peuple saluant son armée victorieuse, et accueillant avec des applaudissements effrénés « Pétain qui a gardé Verdun inviolée », de Castelnau qui trois fois au combat a vu un fils tomber à ses côtés, « Gouraud, le sans peur », « Marchand qui s’est rué sur les Boches en brandissant son bâton », « Mangin qui reprit Douaumont », et « Tous ces courageux jeunes officiers, modestes même dans la gloire, qui ont tenu la frontière comme un mur d’acier, des Flandres jusqu’à l’Alsace », les héros de Souchez, de Dixmude, de la Maison du Passeur, de Souain, de Notre Dame de Lorette, et de la grande retraite. Cela fait une longue liste, et je pouvais sentir le frisson courir partout dans la pièce pleine de soldats, qui, s’ils vivent, représenteront une partie de cette procession triomphale dont personne ne parle encore sauf un poète. Mais après qu’il eût décrit cette scène le tempo du verset changea : La musique commença à jouer doucement la Rêverie de Schumann à l’endroit commençant par : « Mais ce cortège triomphal n’est pas suffisant. Le retour de l’Armée demande un autre cortège », le triomphe des mutilés, les martyres de la guerre qui ont donné plus que leur vie, les héros les plus glorieux de la guerre. L’image que le poète fit de cet « autre cortège » émut étrangement les soldats. La musique, qui se mariait magnifiquement avec la belle voix de Brochard, se réduisait à peine à un souffle, juste audible, mais toujours là, et mettait beaucoup en valeur la récitation. Il y a eu un soupir dans le silence qui a suivi la fin, et un « bravo » presque murmuré, avant que les longs cris d’applaudissements n’éclatent. C’est le seul numéro d’un quelconque programme qui n’ait jamais concerné, même de loin, la guerre. Il est venu par surprise. Il n’avait pas été annoncé. Mais le sentiment intense, assez douloureux, que le public a ressenti a été instantanément balayé par un monologue comique, et je n’ai pas besoin de vous dire que ces monologues, conçus pour amuser les hommes des tranchées et les faire bien rire, sont généralement tout à fait du genre de La Scala, c’est à dire rosse. Mais j’adore entendre les garçons exprimer leur jubilation. La scène dans les rues étroites de Quincy après le spectacle est très pittoresque. La route est légèrement en pente à Moulignon, et les dos bleu-gris des garçons occupant toute la rue entre les murs gris des maisons, alors qu’ils rentrent lentement à leurs cantonnements, composent un très joli tableau. Cela semble vraiment loin de cette guerre n’est-ce-pas ? Oui n’est-il pas heureux d’apprendre et de voir que ces garçons peuvent sortir d’une bataille comme celle de Verdun dans ces conditions ? Cet état d’esprit vous voyez est l’espoir de l’avenir. Vous savez quand vous dressez n’importe quelle sorte de chien pour la défense, vous l’affrontez à toutes les dures épreuves sans briser son caractère. Il me semble que c’est juste ce qu’on fait pour les hommes au front. |
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