On the edge of the war zone – chapitre 27
CHAPITRE XXVII
30 septembre 1916
Cela a été le plus étrange été que je n’aie jamais connu. Il y a eu si peu de vrais jours d’été. Je ne pourrai pas compter les jours de chaleur sur mes doigts. Aucune des choses sur lesquelles je comptais n’est arrivée. Quelle déception la pauvre Russie fut pour le vaste monde, qui ne savait rien d’elle, à part qu’elle pouvait mettre quinze millions d’hommes sur le champ de bataille ? Cependant, comme nous disons, « tout cela n’est qu’un détail ». Nous apprenons des choses tous les jours. Rien n’a plus ouvert nos yeux que de voir mise à néant notre conviction, qu’une fois que la frontière roumaine serait ouverte aux Russes ils seraient sur le Danube en un rien de temps. Vous souvenez-vous avec quelle désinvolture nous parlions du « rouleau-compresseur russe » en septembre 1914 ? Je me rappelle qu’à cette époque j’avais reçu une lettre d’un garçon très intelligent, qui me disait que des « experts militaires » s’attendaient à voir la bataille finale sur notre front, quelque part du côté de Waterloo, avant la fin d’octobre, et même qu’ « avant cela le rouleau-compresseur russe serait en route pour Berlin ». Les experts militaires ont alors beaucoup appris depuis ! |
N’était-ce pas quand même, en un certain sens, heureux, qu’en dépit de l’avertissement de Kitchener, nous n’avions pas au début réalisé le chemin que nous devions faire ? Quand je considère rétrospectivement les deux dernières années, il me semble de plus en plus frappant, même vu à travers cette courte perspective, que les armées alliées, et surtout les civils derrière les lignes, face aux durs événements de chaque jour, se sont levés, ont accepté les choses, et espéré.
Je suis entrée dans une humeur où il semble simplement stupide de parler de cela, depuis que je suis, comme d’habitude, simplement une éternelle spectatrice. Il me tarde seulement de garder les yeux levés dans un large arc de cercle vers la fin, de vivre chaque jour comme je le peux, et d’attendre. Aussi pourquoi devrais-je essayer de vous parler de choses que je ne vois pas, et au sujet desquelles seuls les derniers, faibles, mourants échos, nous atteignent ? Vous ne devez vraiment pas avoir pitié de moi, comme vous insistez pour le faire, car les restrictions militaires tracent une ligne autour de moi que je ne peux pas franchir selon mon bon vouloir. J’en ai l’habitude. Ce n’est pas dur. Ce l’est plus pour mes voisins français que pour moi. Je semble ne vous avoir jamais dit, que même s’ils ne peuvent pas quitter la commune sans un sauf-conduit, ils n’ont qu’à aller à la mairie et le demander pour l’obtenir. Depuis des mois maintenant le pont sur la Marne, à Meaux, est gardé, et même ceux qui vont au marché ne peuvent pas le traverser sans montrer leurs papiers. La formalité est très éprouvante pour eux, parce que la mairie ouvre à 8 H. et ferme à midi, pour ne rouvrir qu’à 15 H. et fermer à 18 H. Vous voyez ce sont des heures pendant lesquelles tout le monde est occupé dans les champs. L’homme ou la femme qui doit aller au marché le samedi doit quitter son travail, et effectuer un long trajet dans Quincy. Ils doivent souvent faire trois ou quatre miles à pied, (un mile = 1,609 km), justement à l’heure où c’est le moins facile de partager le temps. Pour rendre la chose encore plus difficile, un nouvel ordre est arrivé il y a quelques semaines. Chaque homme, femme, enfant, (au-dessus de 15 ans), à l’intérieur de la zone de guerre, doit avoir, à partir du 1er octobre, une carte d’identité avec une photo. Ce règlement a été la source des pires difficultés. Un grand nombre de vieux paysans, et aussi de jeunes, n’ont jamais été pris en photo. Il n’y a pas de photographe. Le photographe d’Esbly, et les deux qui sont à Meaux, ne peuvent pas photographier tout le monde, et, par ce temps incertain, faire les tirages dans le délai attribué par les autorités militaires. Il y a eu un grand mouvement de protestation. Toutes sortes de photographes ont été envoyés dans la commune. Le tambour de ville a tapé sur son instrument jusqu’à en devenir fou, pour annoncer les endroits où les photographes se tiendraient certains jours à certaines heures. Un des endroits choisis était la cour d’Amélie, et vous auriez aimé voir ces vieux paysans bronzés face à une caméra pour la première fois. Il en est résulté des choses amusantes, en particulier quand le photographe pressé et débordé, avait eu deux visages sur le même négatif, comme cela est arrivé plusieurs fois. Nous avons un vrai temps d’automne. Mais d’ailleurs depuis le printemps dernier on se serait davantage cru en automne qu’en été. Les champs sont jolis à voir les jours où le soleil brille. Je suis allée l’autre jour me promener à flan de colline, juste pour le plaisir de m’asseoir dans mon landau, et de regarder les vastes champs de blé, où les femmes avec leurs vestes de coton et leurs grands chapeaux travaillaient à la récolte. La scène n’a jamais été aussi pittoresque. Je pouvais repérer au loin la haute silhouette de ma Louise, avec une gerbe sur la tête, et une faucille dans la main, arpentant les champs, et je pensais combien un peintre aurait aimé la scène, avec les longs rayons du coucher de soleil de la fin septembre illuminant l’étendue jaune. Mercredi dernier nous avons eu une petite émotion ici, parce que seize prisonniers allemands qui travaillaient dans une ferme se sont enfuis, certains déguisés en femmes. Je n’étais pas très inquiète, comme il semblait difficilement possible qu’ils s’aventurent près des maisons dans ce quartier, mais Père était très nerveux, et chaque fois que le chien aboyait, il était sur la route pour s’assurer que tout allait bien pour moi. C’est arrivé assez bizarrement, juste le jour où deux cents prisonniers arrivaient à Meaux pour travailler dans la raffinerie de sucre. Le jour suivant il y a eu une battue règlementaire. Les gendarmes ont battu les champs et les bois à la recherche de fugitifs. S’ils les prennent ils ne le disent pas. Mais nous avons reçu l’ordre de ne pas héberger d’étrangers sous peine d’une lourde amende. Mais cette condition existe vraiment depuis que la guerre a été déclarée, puisque personne n’est même autorisé à embaucher un ouvrier dont les papiers n’ont pas été visés à la mairie. J’ai eu un feu de bois aujourd’hui. C’est inquiétant, avec l’hiver arrivant et si peu de fuel, d’avoir commencé à chauffer à la fin de septembre, trois semaines ou un mois plus tôt que d’habitude. |
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