On the edge of the war zone – chapitre 22
CHAPITRE XXII
2 Mars 1916
Nous vivons ces jours dans l’atmosphère de la grande bataille de Verdun. Nous parlons de Verdun toute la journée, rêvons de Verdun toute la nuit. En fait la pensée de cette grande attaque à l’est absorbe toute autre idée. La tension n’a pas été aussi terrible qu’elle l’est actuellement, ni pendant les journées de la Marne, ni pendant celles qui furent éprouvantes d’Ypres ou de l’Aisne. Personne ne croit que Verdun peut être prise, mais l’anxiété est horrible, et l’idée du coût que peut représenter la défense n’est jamais absente des esprits, même de ceux qui sont fermement convaincus de ce que la fin doit être. Je vous envoie un dessin de Forain qui exprime exactement le sentiment de l’armée et de la nation. |
Vous n’avez qu’à jeter un coup d’oeil sur une carte pour voir combien est importante la position à Verdun, supposée être la plus forte des quatre grandes forteresses : Verdun, Toul, Epinay, et Belfort, et qui protège la seule frontière par laquelle le Kaiser a un droit militaire d’entrer en France, droit dont il n’a pas usé en raison de la force de cette forteresse.
Verdun est à seulement un jour de marche de Metz. Si vous étudiez la carte vous saurez qu’à l’intérieur d’un circuit de trente miles, (un mile mesure environ 1,609 kilomètre), Verdun est protégée par trente-six redoutes. Mais ce que vous ne saurez pas c’est que cette grande fortification n’est pas encore reliée à ses redoutes extérieures par les passages souterrains qui faisaient partie du plan originel. C’est ce fait qui est dérangeant. Chaque ingénieur dans l’armée française sait que la citadelle, à Metz, a des communications souterraines avec tout son ensemble de remparts extérieurs. Chaque ingénieur allemand sait probablement que ces passages ne furent jamais construits. N’est-il pas étrange, (quand on se souvient que même au temps des villes fortifiées, il y avait toujours des souterrains conduisant à l’extérieur de ces fortifications, merveilleux ouvrages de maçonnerie, aujourd’hui intacts, comme ceux de Provins, et aussi d’autres ici sur cette colline), qu’une nation qui ne voulait pas la guerre ait laissée inachevée la protection d’une forteresse aussi coûteuse ? Vous avez probablement su, comme d’habitude avant nous, que la bataille avait commencé. Nous ne savions rien à son sujet avant le 23 février, trois jours après que le bombardement ne commence, avec les lignes françaises extérieures positionnées à neuf miles en dehors de la ville, bien que seulement vingt-quatre heures après la pleine force de l’artillerie allemande fût déployée, avec quatorze divisions attendant de marcher contre les trois divisions françaises occupant la place. Imaginez-vous combien nous étions anxieux ? Nous avons été soutenus pendant des semaines par l’espoir d’une offensive alliée, et à la place ceci arriva ! Les nouvelles du premier jour furent mauvaises, comme celles du 24 . Je n’ai jamais depuis la guerre ressenti une telle anxiété autour de moi. En plus, juste avant minuit, le 24, la neige commença à tomber. Le matin, il y avait plus de neige par terre que je n’en aie jamais vue en France. Il y en avait une épaisseur d’un pied en face de la maison, (un pied = 30,48 cm), et au nord, où elle avait dérivé, il y en avait le double. C’était tellement inhabituel que personne ne semblait savoir quoi faire. Amélie n’a pas pu venir. Personne n’est équipé pour marcher sur la neige, sauf les hommes auxquels il arrive d’avoir des galoches montantes. Je regardai par la fenêtre et vis Père tracer un chemin jusqu’à la barrière, mais avec une pelle en fer cela prit du temps. Il était 9 H. quand il ouvrit la barrière, et alors Amélie se laissa glisser. Père fut occupé toute la journée à garder le chemin ouvert, car la neige continuait à tomber. Cela veut dire que toutes les communications étaient arrêtées. Les trains roulaient lentement sur les lignes principales, mais notre petite route était bloquée. Il continua à neiger pendant deux jours, et pendant deux jours nous n’avons pas eu de nouvelles du monde extérieur. Le matin du 27 l’un de nos hommes âgés alla à la Demi-Lune et guetta une voiture militaire venant de Meaux. Après des heures d’attente il y en eut une. Il courut sur la route, la héla, et comme le chauffeur freina, il cria « Et Verdun ? » « Elle tient », fut la réponse, et l’auto démarra. Ce fut toutes les nouvelles que nous eûmes en ces jours. A l’ouverture des communications les nouvelles que nous avons eues ne furent pas consolantes. La première phase de la bataille était terminée depuis six jours, avec les allemands à Douaumont, et le combat continuant, mais l’esprit des français n’avait pas changé d’un iota. Ici, au milieu des civils, ils disent « Verdun ne tombera jamais », et en dehors du front ils nous disent que les poilus sifflent simplement entre leurs dents serrées, comme ils combattent et tombent, « Ils ne passeront pas » . Et pendant tout ce temps nous nous tenons inactifs au haut de la colline en entretenant cette pensée. C’est tout ce que nous pouvons faire. Nous avons eu un peu d’animation la semaine dernière parce que le clown du village était en permission. C’est un type de vingt-trois ans avec une jeune épouse et une petite fille de trois ans qui a appris à parler depuis que « papa » l’a vue, et qui est le portrait de son père, amusante, de bonne humeur, et rieuse. Je vous ai dit que nous n’entendions presque jamais parler de la guerre. Nous en avons entendu parler pendant que notre clown local était chez lui, mais quelle était la part de vérité et d’imagination, je ne sais pas. De toute façon sa drôlerie nous a tous fait rire. Sa belle-mère est morte depuis son départ, et quand son épouse pleura sur son épaule, il lui tapota le dos, et lança un clin d’oeil par-dessus son épaule à ses amis admiratifs, comme il disait « Chut ma fille, si tu pleures en ces jours parce que quelqu’un meurt, tu n’auras pas le temps de dormir. Pense seulement à cela, la vieille dame est morte dans son lit, et c’est tout ce qu’il y a de plus aristocratique en ces jours ». Je regrette de dire que cela n’a pas du tout consolé son épouse. Comme il ne dit jamais rien sans le mimer, il était très comique quand il parla de la bataille au cours de laquelle la garde prussienne fut anéantie. Il est dans l’artillerie, et il a participé à toute la bataille. Quand il arriva au moment où l’artillerie reçut l’ordre d’avancer, il donna une imitation de lui-même se démenant avec son fusil, et se balançant, alors que les chevaux luttaient pour avancer sur la dure route labourée par les obus, jusqu’à ce qu’ils atteignent le champ où le factionnaire était tombé. Alors il imita le geste de l’officier menant sa monture parmi les canons, et s’arrêtant pour regarder le champ, en disant avec un haussement d’épaules : « Ah, les beaux gars », puis brandissant son sabre et criant : « En avant ! ». Alors vint l’imitation d’un artilleur accroché à son arme alors que le chariot transportant les fusils allait en cahotant au-dessus des morts, les pompiers et la brigade du feu le suivant, prêts à mettre le feu au champ, et criant : « Allez aux enfers beaux gars de Prusse, et y attendre votre kaiser ! », (en français dans le texte). Tout cela était tellement plein d’humour qu’on était choqué à l’intérieur du rire par la réunion du comique et de l’affreux. J’ai d’abord ri et ensuite frissonné. Mais nous faisons beaucoup cela en ces jours. Je ne pense pas vous avoir dit que j’avais trouvé une merveilleuse femme pour m’aider une journée par semaine dans le jardin. Son nom est Louise, elle est née dans la commune, et a travaillé dans les champs depuis l’âge de neuf ans. Elle a beaucoup de personnalité, et elle est belle, très grande et si droite. Elle a trente-trois ans, est mariée avec trois enfants, et n’a jamais été malade de sa vie. Elle est courageuse, gaie, et j’aime simplement la voir arpentant les chemins du jardin, avec sa tête levée, marchant sur ses longues jambes, et faisant évoluer son corps avec autant de maîtrise que si elle avait un seau d’eau sur la tête. C’est magnifique. Bien, Louise a un frère nommé Joseph, aussi beau qu’elle, et plus gros. Joseph est dans l’artillerie lourde, contrôlant un sommet de montagne en Alsace, et, le croirez-vous, il a été là pendant vingt mois et n’a jamais vu un allemand. Naturellement, quand vous y pensez, ce n’est vraiment pas si curieux. L’artillerie lourde est à des miles derrière l’infanterie, et forcément les artilleurs ne peuvent pas voir sur quoi ils tirent. C’est l’affaire des officiers, et des yeux de l’artillerie, les aéroplanes. Il est malgré tout bizarre de penser qu’on puisse tirer de gros canons pendant vingt mois et ne jamais voir les cibles. Toujours étrange, Joseph m’a dit qu’il n’avait jamais vu un soldat blessé ou mort depuis le début de la guerre. Mettez ces petits faits de côté pour y réfléchir. C’est une guerre où il se passe des choses étranges. |
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« C’est une guerre où il se passe des choses étranges. »
Belle conclusion de cette lettre qui comme la plupart nous apprend beaucoup sur la vision qu’on pouvait en avoir à l’époque, loin du prisme de histoire. Les petites histoires font la grande histoire dit-on mais en en soulignant les disparités, les situations curieuses, les différences de perception.
Je pense à Louise, la jeune femme qui travaillait dans le jardin de Mildred Aldrich. Elle avait commencé à travailler dans les champs à 9 ans. Elle avait 33 ans en 1916. Elle était donc née en 1883. Or la Loi de Jules Ferry concernant l’instruction obligatoire jusqu’à 13 ans date de 1882 … La preuve en est que certains passaient au travers, donc que les moyens de contrôle étaient défaillants. Que savez-vous à ce sujet ? N’hésitez pas à vous exprimer. Solidarité, partage, Mildred nous donne son témoignage, je le traduis, vous nous faites part de vos connaissances, de vos réflexions, éventuellement vous vous renseignez. Amitiés à tous 😀
Erratum : Mildred nous « a donné » son témoignage.
Les récits de cette époque évoquent souvent des fins de scolarité très jeune. Les années scolaires étaient déjà amputées à cause des récoltes, dès qu’on avait besoin des enfants ils n’allaient plus à l’école. Et certains n’y allaient que très peu. Ma grand-mère née en 1899 n’y a jamais été, un père décédé très jeune, il fallait aller travailler dans les champs dès le plus jeune age, c’était courant.