On the edge of the war zone – chapitre 20
CHAPITRE XX
23 Janvier 1916
Bien, Je suis vraiment allée à Paris, et ce fut si difficile que je me demande pourquoi je suis troublée. J’ai dû attendre le bon plaisir du Commandant de la cinquième armée comme l’ambassade s’est montrée impuissante à m’aider, bien qu’ils aient fait de leur mieux avec une grande bonne volonté. Je vous joins mon sauf-conduit pour que vous puissiez voir l’importance de ce document. Alors je veux vous dire quelque chose d’amusant. Je n’ai jamais eu à le montrer une seule fois. C’était très curieux de savoir exactement combien c’était important. J’en profitais pour aller à Esbly. En achetant mon ticket je m’attendais à ce qu’on me le demande, comme il y avait une note imprimée à côté de la fenêtre du guichet des tickets, annonçant que tous les acheteurs de tickets devaient être munis d’un sauf-conduit. Personne ne s’est soucié de voir le mien. Personne ne l’a demandé dans le train. Personne ne l’a demandé à la sortie, à Paris. Personne ne l’a davantage demandé quand je suis revenue, que ce soit au guichet à Paris, ou à l’entrée du train. Etant donné que je l’avais attendu pendant des semaines, que j’en avais fait la demande trois fois, que j’avais dû expliquer ce que j’allais faire à Paris, où j’allais, pendant combien de temps, etc., j’avais de quoi être amusée. |
J’étais vraiment terriblement déçue. J’avais voulu le montrer. Cela semblait si chic de voyager avec le consentement d’un grand Général.
Naturellement si j’avais tenté de m’en passer, j’aurais risqué d’être prise, étant donné qu’à tout moment le train était susceptible d’être contrôlé et tous les papiers examinés. J’ai appris à l’ambassade, où l’attaché militaire avait consulté le Ministre de la Guerre, qu’il y aurait plus tard un arrangement concernant les étrangers, et que nous devrions être munis d’un registre spécial, qui, bien qu’il ne nous autoriserait pas à circuler librement, nous autoriserait à demander une permission, et à l’obtenir si les autorités militaires le choisissaient. Cela ne change pas grand chose. La visite n’a pas servi à grand chose, à part me montrer un visage triste de Paris, et me réjouir de mon retour. Maintenant que les jours sont courts. Le ciel est sombre à 16 H. Paris est presque méconnaissable, avec ses boutiques aux volets clos, les fenêtres du tramway aux rideaux tirés, très peu de lumières dans les rues, et pas du tout dans les petites rues, pas de lumières visibles dans les maisons, la ville semble morte. Vous devez le voir pour réaliser à quoi cela ressemble. Le temps était maussade, humide, le froid pénétrant, l’atmosphère déprimante, et il en était de même des conversations. C’est mieux ici au sommet de la colline, même si de temps en temps nous entendons les canons. Sur le trajet du retour il n’y avait presque pas de lumières sur les quais des gares, et tous les wagons avaient leurs rideaux tirés. Même situation à la gare d’Esbly, quelques lumières, très faibles, sur le quai principal, et absolument aucune sur le quai où j’ai pris la voie étroite pour Couilly. J’allais en trébuchant dans l’obscurité absolue, le long de la voie principale, et me frayais littéralement un passage le long du petit train pour trouver mon véhicule. S’il n’y avait pas eu la lampe de ma petite voiture attendant sur la route, je n’aurais pas vu où était la sortie à Couilly. Ce n’était pas gai, et c’était loin d’être gai de grimper la longue colline sous les faibles rayons de cette seule lampe pour éclairer l’obscurité. Heureusement Ninette connaît la route dans l’obscurité. Dans les premiers jours de la guerre c’était amusant dans le train, comme chacun parlait, et que la conversation était agréable. Ces jours sont passés avec le fameux ordre collé sur chaque fenêtre. Taisez-vous ! Méfiez-vous. Personne ne dit un mot. Je suis revenue de Paris avec une demi-douzaine d’officiers dans le compartiment. Chacun, en entrant, saluait avec sa main, et s’asseyait, sans un mot. Ils ne se regardaient même pas l’un l’autre. C’est un des changements d’attitude les plus marqués que j’aie vus depuis la guerre. C’est vrai. Nous devenions tous trop bavards, mais cela enlève le charme qu’il y avait à aller à Paris. Je n’ai pas vécu d’événement spécial depuis que je vous ai écrit le jour de Noël, bien que nous ayons eu quelques jours après cinq minutes de vive émotion. Un jour je marchais dans le jardin. Le temps était assez clair, et le soleil brillait à travers la brume d’hiver. J’avais été, comptant mes tulipes qui poussaient bien, admirant mes crocus jaunes, déjà en fleurs, espérant que la sève ne commencerait pas à monter dans les rosiers, et observant la Marne, une fois encore s’étendant comme la mer plutôt que comme une rivière sur les champs, et me demandant de quelle façon cette affreuse crue d’hiver affecterait le front de bataille, quand, soudainement, il y eut une terrible explosion qui m’a presque secouée jusqu’aux pieds. Le facteur de Quincy était juste en train de monter la colline et il tomba rapidement de son vélo. Il se trouvait que de là où j’étais je pouvais voir la scène par-dessus la haie. Mais avant que j’aie pu sortir la question stupide « Qu’est-ce que c’est ? » il y eut une deuxième explosion, puis une troisième, et une quatrième. Le son venait de Paris. « Zeppelins, » fut la première chose à laquelle je pensais, mais c’était peu probable à cette heure.(Les zeppelins étaient des aérostats de type dirigeable, de fabrication allemande). Je restais clouée sur place. Je pouvais entendre leurs voix à Voisins comme si le monde s’était précipité dans la rue. Alors je vis Amélie descendant en courant la colline. Elle ne dit rien en passant. Le facteur se releva, me passa une lettre, haussa ses épaules, et poussa son vélo vers le haut de la colline. J’attendais patiemment que les voix se taisent à Voisins. Je ne pouvais pas voir de fumée nulle part. Amélie revint mais sans donner d’explication. Elle rapporta seulement une histoire amusante. Il y a une vieille femme à Voisins, qui a bien 90 ans, et s’appelle Mère R. Son esprit ne peut saisir les multiples aspects de la guerre. Dans sa confusion elle retient certains faits isolés. A la première explosion elle s’est précipitée dans la rue, regardant vers le ciel, et secouant ses vieux poings flétris au-dessus de sa tête, elle cria de sa voix aigüe et chevrotante : « Maintenant regardez cela ! Ils nous ont dit que le Kaiser était en train de mourir. C’est un mensonge. C’est un mensonge, vous voyez parce que maintenant il nous envoie ses maudites bombes ». Vous savez pendant tout ce mois les journaux ont dit que Guillaume était en train de mourir de ce cancer récurrent de la gorge. Je suppose que la vieille femme pense que Guillaume représente toute la guerre en sa seule personne. En un sens elle n’a pas tout à fait tort. Pendant toute une semaine nous n’avons pas eu d’explication concernant ces cinq minutes d’émotion. Puis il y a eu des fuites selon lesquelles l’officier d’état-major qui était stationné au château de Condé, à mi-chemin entre ici et Esbly, était sur le point de changer de section. Il y avait, dans le parc de ce château, quatre bombes qui n’avaient pas explosé. Il ne voulait pas les prendre avec lui, et il était également dangereux de les laisser dans le parc, aussi il avait décidé de les faire exploser, et n’avait pas jugé nécessaire d’avertir quiconque en dehors du personnel de la voie ferrée. Que ce fait alimente les conversations pendant des semaines montre combien notre vie est simple. |
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Pour faire le lien entre le passé et le présent, à propos de « la voie étroite pour Couilly », celle de la navette Esbly-Crécy, cette semaine, 3 jours sur 4 la navette n’a pas circulé car en maintenance. C’est le progrès !
La photo, d’époque, est celle où habitait Mildred « La Creste » hameau de Huiry à Qunicy-Voisins.
Précision intéressante, je m’en étais un peu doutée. Le choix de cette photo est très judicieux. Merci Jean-Michel.