On the edge of the war zone – chapitre 18
CHAPITRE XVIII
6 Décembre 1915
Cela fait deux mois que je vous ai écrit, je le sais, mais vous ne devez pas me le reprocher aussi violemment que vous l’avez fait dans votre lettre du 21 Novembre que je viens de recevoir. Pour commencer vous n’avez pas de raison de vous inquiéter. Je peux vivre dans l’inconfort. Je ne suis pas en danger. Pour ce qui est des inconforts, bien, j’y suis habituée. Je ne peux pas très souvent me procurer du charbon, et quand je le peux, je le paie trente six dollars la tonne, et c’est seulement une imitation. Je ne peux pas faire la lessive plus souvent qu’une fois toutes les six semaines. Rien ne sèche en plein air dans cette région d’hivers humides. Je suis souvent obligée de passer mes soirées à la lumière des chandelles, et c’est assez extravagant, étant donné que les chandelles sont coûteuses, et qu’il en faut beaucoup. Elles brûlent comme des cônes de papier en ces jours. |
Quand je n’écris pas c’est que je n’ai rien de plus intéressant que des choses comme cela à vous dire.
La situation est chronique, et comme les maux chroniques, beaucoup plus susceptible d’empirer que de s’améliorer. Vous devriez vous épargner au lieu de me blâmer. Je n’aurais pas trouvé l’inspiration d’écrire aujourd’hui si quelque chose n’était pas arrivé. Ce matin le tambour de ville a tapé sur son instrument tout autour de la colline, et a lu une proclamation interdisant aux étrangers de quitter la commune pendant les trente prochains jours, sans permis spécial du Général en commande du Cinquième Corps d’Armée. Personne ne sait ce que cela veut dire. Je suis allée à la mairie pour me renseigner, simplement parce que j’avais promis de passer Noël à Voulangis, et que si cet ordre est formel je peux avoir des difficultés pour y aller. Je ne souhaite pas célébrer Noël. Il y a simplement un enfant là-bas, et les vies des petits enfants ne doivent pas être trop attristées par des temps et des événements qu’ils ne comprennent pas. Ils m’ont dit à la mairie qu’ils ne pouvaient rien faire, et que je devais m’adresser à Monsieur le Général. Il n’ont même pas pu me dire quelle forme la requête devait prendre. Aussi je rentrai chez moi et écrivis la lettre aussi bien que je pus. Pendant ce temps je suis informée qu’avant d’avoir une réponse des quartiers généraux je ne peux pas quitter la commune de Quincy-Segy. Si je suis vraiment cet ordre à la lettre je ne peux même pas aller chez Amélie. Sa maison est dans la commune de Couilly, et la mienne à Quincy. La frontière entre les deux communes se trouve au milieu du chemin qui est du côté sud de mon jardin. C’est ennuyeux étant donné que je connais à peine Quincy, que je ne m’en soucie pas, et n’y vais jamais, sauf pour me présenter à la mairie. C’est plus loin de la ligne de chemin de fer que là où je suis. Je connais Couilly et je l’aime. C’est un joli village prospère. Il a plus de boutiques que Quincy qui n’a même pas une pharmacie, et j’y ai toujours fait mes courses. Mon courrier y arrive, la station de train s’y trouve, et tout le monde me connaît. L’idée que je ne peux pas y aller me donne, pour la première fois depuis la bataille, une baisse de moral. J’en ai parlé au garde-champêtre que j’ai rencontré sur la route comme je revenais de la mairie. Je lui ai demandé ce qu’il pensait du risque pour moi d’aller à Couilly. Il a semblé vraiment grave, et m’a dit : « Je ne le ferais pas si j’étais à votre place. Il vaut mieux ne pas prendre de risques jusqu’à ce que nous sachions où cela doit nous mener. » Je le remerciais avec une expression aussi sérieuse et grave que la sienne. « J’obéirai », me disais-je, bien qu’obéir sera comique. Aussi je tournais au coin du haut de la colline. Je conduisais près du côté est de la route, qui était le côté de Quincy, et comme je passais devant l’entrée de la cour d’Amélie, j’appelais Père pour qu’il vienne et apporte Ninette et la charrette. Je descendis alors en laissant là mon véhicule. Je ne regardais pas en arrière, mais je savais que Père se tenait sur la route me regardant avec amusement, et ne comprenant rien au fait que j’avais laissé ma charrette du côté de la route qui est sur le territoire de Quincy, pour qu’il la conduise à Couilly où je ne pouvais pas aller. « J’obéirai », me répétais-je vicieusement comme je me promenais dans le bas du côté de la route sur le territoire de Quincy, et traversais en face de la barrière où toute la largeur de la route est sur ma commune. Cela ne faisait pas cinq minutes que j’étais dans la maison qu’Amélie arriva. « Qu’est-ce qu’il y a ? » demanda-t-elle hors d’haleine. « Rien. » « Pourquoi n’êtes-vous pas entrée dans l’écurie comme d’habitude ? » « Je ne pouvais pas. » « Pourquoi ne pouviez-vous pas ? » « Parce que je n’ai pas le droit d’aller à Couilly.» Je pensais qu’elle se rendait compte de la plaisanterie et je riais. Ce n’était pas le cas. Elle était fâchée, et j’eus du mal à lui faire voir que c’était amusant. En fait je ne le lui fis pas voir du tout, car une heure plus tard, la cherchant, j’allais sur le côté de la route dépendant de Quincy, me penchais contre le mur opposé à son entrée, et sifflais fortement pendant dix minutes sans attirer son attention. Cette façon de renouer avec la plaisanterie eut deux effets. Je dois vous dire que les rares amis qui ont jamais été ici sentaient que la seule chose ennuyeuse résultant du fait que je sois absolument seule, était que si quelque chose arrivait et que j’aie besoin d’aide, je n’avais aucun moyen de le faire savoir à quiconque. Aussi ai-je promis, et ce fut accepté par Amélie, qu’en cas de nécessité, j’émettrais mon fort sifflement, on peut l’entendre sur une distance de la moitié d’un mile, (environ 800 mètres). Mais c’était il y a plus de deux ans. Je n’ai jamais eu besoin d’aide. J’ai sifflé pour appeler Dick. Je sifflais, et sifflais, et sifflais, jusqu’à ce que je sois très fâchée. Alors je commençais à crier : « Amélie, Mélie, Père ! », et ils vinrent en courant semblant terrorisés de me trouver le visage rouge, me penchant contre le mur du côté de la route situé sur le territoire de Quincy. « Avez-vous entendu mon sifflement ? », demandais-je. « Nous pensions que vous appeliez Dick. » La plaisanterie était dirigée vers moi. Quand j’expliquais que je voulais du pain frais pour des toasts, et que pour ce faire je n’étais pas autorisée à aller dans leur maison à Couilly, la plaisanterie cessa complètement. Il était inutile pour moi de rire, et d’expliquer qu’un ordre était un ordre, et que Couilly était Couilly, que cette commune soit à ma barrière ou au pied de la colline. La colère de Père fut plus drôle que ma plaisanterie. Il ne vit rien de comique dans la situation. Pour lui c’était absurde. Monsieur le Général Commandant de la Cinquième Armée aurait dû savoir que j’étais en règle. Il était grand temps que quelqu’un le lui dise. De sa douce voix âgée il me fit une vraie harangue. Tous les français peuvent faire des harangues. Il fut difficile pour moi de le convaincre que je n’étais pas le moins du monde ennuyée, que je pensais que c’était amusant, qu’il n’y avait rien de personnellement dirigé contre moi dans l’ordre, que je faisais simplement partie des nombreux étrangers qui étaient à l’intérieur de la zone des armées, que la seule façon de mettre la main sur ceux qui étaient dangereux était de nous empêcher tous de circuler. J’aurais dû épargner mon souffle plutôt que de discuter avec lui, si tant est que je n’aie jamais pu changer la conviction d’un paysan français. Je ne le pense pas depuis que je vis parmi eux. J’ai passé plusieurs jours l’été dernier à essayer de convaincre Père que le soleil ne tournait pas autour de la terre. J’ai dessiné des cartes des cieux, vous auriez dû les voir, et expliqué le système solaire. Il écoutait attentivement. On doit écouter quand la patronne parle, vous savez, et je pensais qu’il comprenait. Quand tout fut fini, cela me prit trois jours, il me dit : « Bien, c’est pareil, regardez le soleil. Ce matin il était derrière la maison de Maria là-bas. Je l’ai vu. A midi il était juste au-dessus de mon verger. Je l’ai vu là. A 5 H. il sera derrière la colline à Esbly. Vous me dites qu’il ne bouge pas ! Pourquoi, je vois qu’il bouge chaque jour. Alors, il bouge. » J’abandonnais. Tout mon bel exposé de notre terre roulant à travers l’espace avait échoué. Aussi il n’y a pas d’espoir de le convaincre que la nouvelle réglementation concernant les étrangers n’est pas expressément faite pour m’ennuyer. Je me demande souvent ce que toute cette guerre signifie exactement pour lui. Il lit ses journaux religieusement. Il semble comprendre. Il en parle très bien. Mais d’une certaine façon il en est détaché. Il la déteste. Elle l’a vieilli terriblement. Mais simplement ce qu’elle signifie pour lui je ne peux pas le savoir. |
(article vu 8 fois)
quelle belle démonstration par l’absurde … l’intercommunalité a du bon !!! 😉
Oui, c’est assez ubuesque, les absurdités de l’administration.
Est-ce que l’intercommunalité aurait simplifié le problème, ou en aurait rajouté une couche ? 😀
Vraiment cela parait invraisemblable.
Mais en fin de compte rien d’étonnant lorsque l’on compare avec ce qui se passe de nos jours……..
Je continue à me passionner pour cette histoire.