On the edge of the war zone – chapitre 17
CHAPITRE XVII
3 Octobre 1915
Nous n’avons jamais été aussi près de nous enthousiasmer depuis le début de la guerre. Juste au moment où chacun pensait que les alliés ne pouvaient pas être prêts à faire leur première offensive avant le printemps prochain, résignés au fait qu’il faudrait attendre un an et demi et plus, pour voir nos armées en situation de faire davantage que repousser les attaques de l’ennemi, nous nous étions tous réveillés le 27 Septembre, avec les nouvelles inattendues que l’offensive des français en Champagne avait commencé le 25, et avait réussi. Pendant trois ou quatre jours le suspense et l’espoir avaient alterné. Chaque jour il y avait une avance, une avance qui semblait être soutenue par les anglais aux environs de Loos, et nous entendions tout le temps, par intervalles, le martèlement de l’artillerie. |
Pendant plusieurs jours nos cœurs était hauts. Alors commencèrent à se répandre dans les journaux des allusions au fait qu’il s’était agi d’une avance courageuse, s’étant traduite par des pertes d’hommes beaucoup trop importantes, mais pas d’une grande victoire, et qu’il y avait eu des bévues. Nous nous sommes arrêtés à la philosophie habituelle. Nous avons étudié la carte de notre première ligne de tranchées le 25 Septembre, quand l’attaque a commencé à travers Souain et Perthes, Mesnil, Massiges, et Ville-sur-Tourbe. Nous l’avons comparée avec la ligne du 29 Septembre, quand la bataille, pratiquement terminée, s’étendait depuis les faubourgs d’Auterive à l’ouest jusqu’au territoire derrière Cernay à l’est, et nous nous sommes consolés comme nous avons pu avec le gain des 25 kilomètres d’avance, et des trois collines franchies. Cela semblait quelques pas sur la carte, mais c’étaient quelques pas près de la frontière.
Longtemps avant ces informations, vous aurez lu, dans les journaux, des détails qui nous sont cachés, bien que nous en sachions plus au sujet de cet événement que de la plupart des batailles. Vous vous souvenez du thé que j’avais organisé pour les garçons de notre hôpital de campagne en Juin ? Bien, parmi les soldats qui y étaient ce jour là, il y avait un jeune homme qui s’appelait Litigue. Il fut blessé, pour la seconde fois le 25 Septembre, le premier jour de la bataille. Il fut soigné dans notre hôpital de campagne la première fois par Mademoiselle Henriette, et hier elle a eu une lettre de lui qu’elle me charge de vous traduire, car cela vous donnera une idée de la bataille, de l’esprit des poilus, et aussi parce qu’elle contient quelques nouvelles, et des réponses à des questions que vous m’avez posées, il y a plusieurs semaines, après la première attaque au gaz dans le nord. << A l’hôpital Saint André de Cubzac, 30 Septembre 1915, Mademoiselle, Je vous écris enfin un peu plus longuement ce soir que je ne pouvais le faire ce matin, où je n’avais pas le temps, car mon infirmière attendait à côté de mon lit pour prendre la carte afin de la poster. Je l’ai écrite quand je le pouvais, en même temps que j’écrivais à ma famille. J’espère que vous l’avez reçue. Je vais vous dire en aussi peu de mots que possible comment la journée s’est passée. L’attaque a commencé le 25 à exactement neuf heures moins le quart du matin. Le bombardement préparatoire a commencé le 22. Tous les régiments avait été rassemblés la nuit précédente dans leurs abris, prêts au combat. Les bombardements ont recommencé au lever du jour, une terrible tempête d’obus de tout calibre, de bombes, de torpilles, ont volé pour saluer les boches, et pour compléter la destruction qui durait depuis trois jours. Sans faire attention aux quelques obus que les boches nous envoyaient en retour, nous sommes tous montés sur les parapets pour voir la scène. Tout le long du front, dans les deux directions, tout ce que nous pouvions voir était un épais nuage de poussière et de fumée. Nous sommes restés ici pendant quatre heures sans dire un mot, attendant l’ordre d’avancer. Officiers, simples soldats , jeunes et vieux, n’avaient qu’une pensée, entrer dans la bataille et la terminer le plus vite possible. Il était juste neuf heures quand les officiers nous ont ordonné de nous mettre en ligne, prêts à avancer, sac au dos, avec nos baïonnettes, les musettes pleines de grenades, et des bombes asphyxiantes. Chacun de nous savait qu’il était confronté à la mort, mais je n’ai vu nulle part le plus petit signe de peur, et, à neuf heures un quart, quand nous avons reçu le signal indiquant qu’il fallait commencer, un cri « En avant et Vive la France » jaillit de milliers et de milliers de gorges, comme nous sautions hors des tranchées, et il me sembla que cela ne représentait qu’un bond avant que nous soyons sur eux. Arrivé là il semble que je ne me souvienne de rien dans le détail. C’était comme si, par enchantement, je me trouvais au milieu de la bagarre, dans un amas de morts et de mourants. Quand je suis tombé je me trouvais inutile dans le combat. Je me suis traîné sur le ventre vers nos tranchées. J’ai rencontré des porteurs de civières qui voulaient me transporter, mais j’étais capable de ramper, et tant de mes camarades étaient pires, que j’ai refusé. J’ai glissé deux kilomètres comme ça jusqu’à ce que je trouve un poste de secours. Je souffrais terriblement avec la balle dans ma cheville. Ils l’ont extraite et ont pansé ma cheville, mais je restais par terre pendant deux jours avant qu’on ne m’enlève, et je n’avais rien à manger jusqu’à ce que j’arrive ici hier, quatre jours après être tombé. Mais on n’y pouvait rien. Il y avait tant de monde à secourir. Je vous ferai savoir comment je me porte, et j’espère avoir de vos nouvelles. En attendant je vous adresse mes respects, et l’expression de ma profonde gratitude. Votre grand ami, LITIGUE A >> J’ai pensé que vous pourriez être intéressée de voir quelle sorte de lettre un vrai poilu écrit, et Litigue est simplement un ouvrier arrivé, jeune et énergique. Vous vous souvenez que vous m’aviez demandé si les alliés rendaient la pareille en cas d’attaque au gaz. Vous voyez ce que Litigue dit tellement simplement. Ils ont des bombes asphyxiantes. Naturellement la plus honorable armée du monde ne peut rester sans défense face à une telle arme. Quand les boches recevront en retour ce qu’ils ont envoyé, l’arme sera moins souvent utilisée. Pour l’instant nos hommes sont tous protégés contre les gaz. Je m’étais difficilement faite à l’idée que l’offensive était finie, et qu’il y aurait un autre long hiver d’inaction, avec le même inconfort physique et matériel que le premier, manque de fuel, suspense, quand arrivèrent des nouvelles qui rendirent mon sentiment très personnel. L’offensive britannique dans le nord m’a coûté un ami cher. Vous vous souvenez du jeune officier anglais qui tournait autour de moi en Septembre de l’année dernière, pendant les jours précédant la bataille de la Marne. Il a été tué en Belgique le matin du 26 Septembre, le deuxième jour de l’offensive. Une nuit il était aux commandes d’une batterie anti-aérienne avancée, ce qui était considéré comme une position bien cachée, mais à la portée néanmoins des canons allemands. Les obus ont anéanti la commande, et le Capitaine a été blessé à la tête. Il est mort à l’Hôpital d’Etaples une demi-heure après son arrivée, et il repose au cimetière anglais sur les dunes, le visage tourné vers le pays pour lequel il a donné sa jeune vie. Je sais qu’on ne doit pas aujourd’hui regretter de tels sacrifices. La mort est, et personne ne peut mourir mieux qu’en s’activant pour une grande cause. Mais quand un être cher s’en va dans sa jeunesse ; quand une carrière qui s’annonçait brillante est balayée, on peut être fier, mais c’est à travers un voile de larmes. Je me souviens si bien de ce Dimanche matin du 26 Septembre. C’était un jour splendide. L’air était clair. Le soleil brillait. J’étais assise toute la matinée sur la pelouse, observant les nuages, si petits et floconneux, écoutant le canon au loin, ne sachant pas alors qu’il s’agissait de la grande offensive. Bizarrement nous avons parlé de lui, comme Amélie examinait le cerisier qu’elle imaginait avoir une sorte de maladie, et elle dit : Vous souvenez-vous quand le Capitaine Noel était ici l’année dernière, il a grimpé à l’arbre pour cueillir des cerises, et je répondis que l’arbre semblait à peine assez solide maintenant pour supporter son poids. Je m’assis pensant à lui, et à sa vie mouvementée et active sous tant de cieux, et je me demandai où il était, loin de penser que déjà, ce même matin, le soleil de sa jeune vie s’était éteint, et que nous ne pourrions jamais, ainsi que je l’avais rêvé, parler de ses aventures en France, comme nous avions si souvent parlé de celles en Inde, en Chine, et en Afrique. C’est curieux, mais quand un ami aussi cher que lui, même si on l’a rarement vu lors des étapes de sa carrière active, va de l’autre côté de la rive, dans le silence et l’invisible, cela prend du temps pour le réaliser. C’est après une longue attente, sans aucun message, qu’on comprend qu’il n’y aura plus de rencontres à la croisée des chemins. J’ai déplacé un portrait de plus pour le mettre, dans la rangée sous les drapeaux, avec les autres portraits sur lesquels est attachée une étoffe noire. C’est tout. Vous le connaissiez très peu, je le sais, mais personne, après avoir vu sa silhouette droite, ses traits fins et nets, bronzés par les soleils tropicaux, et son regard direct, ne l’a oublié. |
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Je lis avec beaucoup de plaisir et respect tous ces épisodes .Merci Florence.
C’est vrai qu’elle est forte mon amie Florence :=!
NOTRE amie Florence
Merci à mes amis sympas 🙂