On the edge of the war zone – chapitre 15
CHAPITRE XV
6 Août 1915
Bien, les jours sans problème sont passés. Jusqu’à maintenant, comme je vous l’ai dit, l’obtention du sauf-conduit, sauf le dernier jour où j’étais à Meaux, était la plus simple formalité qui soit. |
Tout cela est terminé. Nous sommes, de façon évidente, sous un nouveau régime.
J’en ai eu un premier signe hier, quand j’ai eu chez moi la visite des gendarmes d’Esbly. Ce fut une démarche tout à fait officielle et minutieuse, les deux officiers me traitant, au début de l’interview, comme si j’étais une personne très coupable. J’étais à l’étage quand je les ai vus arriver sur leur bicyclette. Je posai mon ouvrage, et descendis pour être prête à leur ouvrir quand ils frapperaient à la porte. Ils ne frappèrent pas. J’attendis un peu, puis ouvris la porte. Il n’y avait personne sur la terrasse, mais j’entendais leurs voix de l’autre côté de la maison. Je me mis à leur recherche. Ils étaient en train d’examiner l’arrière de la maison comme s’ils n’en avaient jamais vu un comme celui-là avant. Quand ils me virent, l’un d’eux dit sèchement, sans la moindre salutation : « Il n’y a pas de cloche ? » Je reconnus le fait qui allait de soi. « Comment fait-on pour entrer depuis que vous gardez votre porte verrouillée ? » ajouta-t-il. « Bien », répondis-je, avec un sourire, « Comme d’habitude, on frappe. » A cela sa seule réponse fut : « Votre nom ? » Je le lui donnai. Il regarda son papier, le répéta, en le prononçant mal naturellement, et, de façon évidente, en étant sûr que je ne savais pas moi-même comment le prononcer. « Etrangère. » déclara-t-il. Je ne pouvais pas le nier. Je dis simplement « Américaine. » Alors l’interrogatoire continua comme ceci : « Vous vivez ici ? » « Evidemment. » « Depuis combien de temps vivez-vous ici ? » « Depuis Juin 1914. » Il sembla frappé par une date très suspecte, et il me dévisagea fortement avant de continuer : «Pourquoi ? » « Principalement parce que je loue la maison. » « Pourquoi restez-vous ici en temps de guerre ? » « Parce que je n’ai pas d’autre endroit où aller, » et j’essayai de ne pas sourire. « Pourquoi n’allez-vous pas chez vous ? » « C’est mon domicile. » « N’en avez-vous pas un en Amérique ? » Je résistai à la tentation de lui dire que cela n’était pas son affaire, et fis de mon mieux pour paraître pathétique, c’était cela ou rire, comme je lui répondis : « Hélas je n’en ai pas. » Ils semblèrent tous les deux frappés comme s’ils entendaient quelque chose d’incroyable, et ils me dévisagèrent seulement, comme s’ils essayaient de me décontenancer. Pendant ce temps des habitants de Huiry, toujours intéressés par les gendarmes, se tenaient au haut de la colline regardant la scène, aussi je dis : « Supposons que vous entriez et je répondrai là à vos questions, » j’ouvris la porte du salon et entrai. Ils hésitèrent un moment, mais décidèrent de me suivre. Ils se tenaient très raides, juste derrière la porte, regardant autour d’eux avec curiosité. Je m’assis à mon bureau, et leur fis signe de s’asseoir, mais je m’aventurai. Evidemment cela n’était pas correct, car ils n’accordèrent pas d’attention à mon geste. Quand ils eurent fini de regarder autour d’eux, ils me demandèrent mes papiers. Je montrai mon passeport américain. Ils regardèrent l’énorme document en acier gravé avec un grand sérieux. Je suis sûre qu’ils n’en avaient jamais vu un avant. Cela les impressionna, comme peut-être, en comparaison, les papiers civils du gouvernement français. Ils étaient satisfaits que la photo fixée au document soit la mienne, que le nom corresponde à celui de leurs livres. Naturellement ils ne pouvaient pas lire un mot du document, mais ils semblaient être au courant. Alors ils me demandèrent mes papiers français. Je montrai mon permis de séjour, m’autorisant à rester en France à condition que je ne change pas de résidence, et auquel était fixée la même photo que celle qui était sur mon passeport, ma déclaration d’état civil dûment tamponnée, et mon « immatriculation », une feuille du registre sur lequel tous les étrangers sont inscrits, comme si nous devions être admis dans un hôpital ou un asile d’aliénés. Les deux hommes mirent leur tête ensemble au-dessus de ces documents, examinèrent les signatures et les sceaux avec une grande gravité, et avec un évident regret de constater que j’étais complètement en règle. Finalement ils me permirent de remettre tous ces documents dans la boîte dans laquelle je les avais apportés. Je pensais que c’était terminé. Pas du tout. Ils attendirent que je ferme la boîte et la replace dans mon sac, et alors : « Vous vivez seule ? » demanda l’un. J’acquiesçai. « Mais pourquoi ? » « Bien, » répondis-je, « parce que je n’ai pas de famille ici. » « Vous n’avez pas de domestique ? » J’expliquai que j’avais une femme de ménage. « Où est-elle ? » Je dis qu’à ce moment elle était probablement à Couilly, mais qu’habituellement quand elle n’était pas ici, elle était chez elle. « Où est-ce ? » fut la question suivante. Aussi je les conduisis de nouveau sur la terrasse, et leur montrai la maison d’Amélie. Ils la regardèrent solennellement comme s’il ne l’avaient jamais vue, et alors l’un d’eux se tourna vivement vers moi, comme pour me surprendre. « Vous êtes une femme de lettres ? » « C’est ce qui est écrit dans mes papiers, » répondis-je. «Journaliste ? » Je réfutais mon ancienne appellation sans un battement de paupières. Je n’avais pas de scrupules. En outre elle m’avait souvent trahie, et il aurait pu être dangereux d’être connue, même comme une ancienne journaliste, à l’intérieur de la zone des opérations militaires. D’autre part suivirent une série de questions plus intimes que personne n’avait jamais osé me poser, mes revenus, mes ressources, mes attentes, mes projets, etc., et toutes sortes de questions que je me pose trop rarement, et auxquelles je ne réponds jamais. Pratiquement la seule questions qu’ils ne me posèrent pas fut si je n’avais jamais eu l’intention de me marier. Je fus tentée de confirmer cette information, mais comme ni l’un ni l’autre n’avait le plus petit sens de l’humour, je décidai qu’il était plus sage de laisser tomber. Ce fut seulement quand ils furent décontenancés à l’occasion d’une autre question particulière qu’ils décidèrent de s’en aller. Ils me saluèrent poliment cette fois. J’imagine que c’était un hommage à la maîtrise de moi dont j’avais fait preuve, alors qu’ils avaient tout fait pour me la faire perdre. Ils franchirent la barrière, se tinrent murmurant ensemble quelques minutes, et regardant la maison avec effroi comme s’ils voulaient l’oublier, regardèrent la plaque qui était sur la barrière, prirent une note, enfourchèrent leur bicyclette, et dévalèrent la colline en continuant leur conversation sérieuse. Je me demandai ce qu’ils se disaient. Quoi qu’il en soit, je reçus le lendemain matin à une heure matinale, l’ordre de me présenter à la gendarmerie d’Esbly avant 11 H. Père était contrarié. Il paraissait sentir que, pour une raison quelconque, j’était sous suspicion, et que c’était à lui, en tant qu’homme, de me défendre. Aussi quand Ninette amena le landau devant la barrière, Père était dedans en veston et casquette, déterminé à aller avec moi et à m’assister. A Esbly je trouvai une personne d’un genre différent, un gentleman. Il me dit qu’il n’était pas un gendarme de métier, mais un bénévole, et, bien qu’il me fasse pratiquement passer par les mêmes épreuves, c’était différent. Il était sympathique, il n’était pas fermé à l’humour, et quand cela fut fini, il vint m’aider dans ma voiture d’enfant, me remercia pour le mal que je m’étais donné, m’assura que j’étais absolument en règle, et alla jusqu’à me dire qu’il avait été content de m’avoir rencontrée. Ainsi je suppose que tant qu’Esbly n’aura pas changé de commandant on me laissera en paix. Ceci vous donnera une petite idée de ce à quoi cela ressemble ici. Je suppose que j’avais besoin d’être un peu secouée pour me faire réaliser qu’on était près de la guerre. Il est quelquefois facile de l’oublier. Amélie vint ce matin avec la nouvelle que la rumeur courait que tous les étrangers seraient « expulsés de la zone des armées. » Cela se pourrait. Malgré tout je ne m’inquiète pas. « C’est assez pour la journée, » vous savez. |
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Pas très futés les gendarmes à l’époque. Heureusement que notre héroïne ne s’est pas laissée destabiliser.
Il faut dire que ce n’est jamais évident d’être étrangère dans un pays en guerre.
Je me suis demandé qui pouvait être le personnage de « Père » cité dans plusieurs épisodes dont celui-ci. Avec Florence on a fait quelque hypothèses, ou plutôt pour ce qu’il ne pouvait pas être.
En fouillant sur internet j’ai trouvé d’autres textes de Mildred Aldrich expliquant son installation au hameau de Huiry à Quincy. On y apprend que « Père » est le mari d’Amélie, la femme de ménage. Surnommé Le Père Abelard à l’ancienne mode de la campagne souvent reprise en dérision, son dimunutif pour les intimes est devenu « Père ».
Jamais, nulle part, en aucune circonstance, on n’a pris autant soin de moi. J’ai une femme de ménage qui remplit à la fois le rôle de maîtresse de maison et celui de bonne à tout faire. (Je traduis littéralement, c’est ce qu’on disait autrefois, avant, heureusement, d’employer le terme plus respectueux d’employée de maison). C’est la femme d’un fermier dont la maison est à trois minutes de la mienne. La fenêtre de mon dressing et la porte de ma salle à manger donnent, à travers un champ de groseilliers, sur sa maison. Je n’ai qu’à siffler et elle peut entendre. Son nom est Amélie. C’est une personnage, et un personnage sympathique. Mais son mari, son second, a encore beaucoup plus de personnalité qu’elle. Elle est parisienne. Son premier mari était un jockey mi breton, mi anglais. Il est mort il y a des années quand elle était jeune. Il s’est cassé le cou à une grande course à Auteuil.
Elle a eu une carrière mouvementée et a vécu avant dans plusieurs grandes familles. Afin d’assurer ses vieux jours elle a épousé ce gentil drôle de petit fermier. J’ai eu beaucoup de chance de la trouver. Mais les choses s’équilibrent magnifiquement étant donné que je suis une bénédiction pour elle, un intérêt nouveau dans sa vie monotone, et elle me rappelle toujours combien elle est plus heureuse depuis que je suis venue vivre ici. Elle est vive et gaie. Assez intelligente pour être une compagne quand j’en ai besoin, et assez bien-élevée pour retourner à sa place quand je n’en ai pas besoin.
Le nom de son mari est Abelard. Oh, oui, naturellement, je l’ai interrogé au sujet d’Heloise la première fois que je l’ai vu, et je fus stupéfaite quand ce petit vieux sans dents rigola et dit : « C’était avant mon époque ». Que pensez-vous de cela ? Tout le monde l’appelle « Père Abelard », et autour de la maison on abrège en disant « Père ». Il a plus de vingt ans qu’Amélie, Il a largement dépassé les 70 ans.
J’ai oublié de le préciser, mais vous l’aurez compris. Il s’agit de la traduction du texte dont parle Jean-Michel.
Merci Florence pour cette traduction supplémentaire au pied levé.