On the edge of the war zone – chapitre 12
CHAPITRE XII
1er Juin 1915
Bien, j’ai eu vraiment beaucoup de bon temps depuis la dernière fois que je vous ai écrit. Je devais me pincer de temps en temps pour me rappeler qu’en dépit de tout ce qui lui était extérieur, réel ou irréel, la guerre était bien là.
Je dois avouer que Paris semble s’en éloigner de plus en plus chaque jour. Depuis le lever du jour jusqu’au coucher du soleil, il m’a été difficile de réaliser que c’était la capitale d’un pays occupé luttant pour son existence même, dont l’envahisseur n’était pas plus loin des boulevards que Noyon, Soissons, et Reims, sur un front de bataille qui, depuis octobre dernier, n’avait pas bougé de plus d’un ou deux pouces, et quelquefois un ou deux pouces dans la mauvaise direction. (le pouce, unité de mesure britannique, mesure 25, 39996 millimètres).
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Je ne pouvais m’empêcher de penser, comme je remontais les Champs-Elysées au soleil, c’était dimanche, combien le Kaiser, qui était à la tête des terroristes, aurait été humilié s’il avait vu Paris ce jour-là.
Les enfants jouaient sous les arbres, les automobiles montaient et descendaient l’avenue à vive allure, des gens étaient assis tout au long du chemin, regardant les passants et bavardant. Tous les grands hôtels, reconvertis en hôpitaux de campagne, avaient leurs fenêtres ouvertes à la glorieuse chaleur du soleil, et les balcons étaient pleins de soldats blessés et d’infirmières vêtues de blanc. Ces soldats, même s’ils n’avaient pas le bras en écharpe ou la tête bandée, de même que ceux qui étaient estropiés et marchaient lentement, paraissaient tristes, alors que tout le monde semblait rire, ajoutant une note tragique à la scène magnifique. C’était étrange, c’était plus qu’étrange. Cela me semblait presque incroyable. Je ne pouvais m’empêcher de me demander si cela pouvait durer. Chaque automobile qui passait avait au moins un soldat à l’intérieur. Presque chaque femme bien habillée avait un soldat à côté d’elle. Ceux qui n’étaient pas accompagnés par l’un d’entre eux regardaient avec sympathie chaque soldat qui passait, dirigeant les aveugles, et, de temps en temps, s’arrêtaient pour bavarder avec les groupes, soldats avec des béquilles, soldats avec des cannes, soldats avec un bras en écharpe, ou une manche vide, et soldats dont on ne voyait que les yeux sur leurs visages. De toute façon je savais que la scène aurait dû être triste. Mais l’amour et le soleil avait décrété qu’elle ne le serait pas, et elle ne l’était pas. Ce n’était pas le Paris que vous avez vu, même l’été dernier, mais c’était Paris avec une âme, et je ne voyais pas d’autre prière à faire que d’appeler de tous ses vœux que la vague d’amour qui semblait palpiter partout autour des garçons soldats, qu’ils semblaient ressentir, et à laquelle ils semblaient répondre, ne s’éteigne pas avec le temps. Je savais que c’était trop demander à la nature humaine. J’étais contente je l’avais vue. Dans cette atmosphère d’amour Paris me semblait beaucoup, j’ai oublié ce mot, beau que jamais. L’eau des fontaines jaillissait Place de la Concorde, dans les jardins des Tuileries, au Rond Point, et les jardins, l’avenue, et les hôpitaux de campagne étaient éclatants de fleurs. Je ressentais juste, comme toujours quand le soleil brille sur cette magnifique perspective de l’Arc de Triomphe jusqu’au Louvre, à moins que ce ne soit du Louvre jusqu’à l’Arc de Triomphe, que nulle part au monde il n’y avait un tel tableau. Quand, sur le chemin du retour, je montais la colline au crépuscule, alors qu’une brume légère voilait le soleil à travers l’arche, je me sentais si reconnaissante envers le destin qui avait décrété que l’armée allemande ne verrait plus jamais ce spectacle, et qu’une nation qui pouvait se permettre de sourire au destin comme Paris y souriait ce jour, ne devait pas, ne pouvait pas être conquise. Naturellement à la nuit tombée tout est différent. C’est alors qu’on réalise que Paris a changé. Les rues ne sont plus brillamment éclairées. Les magasins et les bureaux sont fermés. La ville semble presque déserte. L’éclat et l’activité vous manquent. Je trouvais vraiment difficile de trouver mon chemin et de reconnaître les coins de rues familiers dans l’obscurité. Quelques jours comme cela me suffisaient, et j’étais assez contente de revenir au sommet tranquille de ma colline. A mon âge les habitudes sont fortes. Laissez-moi aussi vous dire que les choses sont en train de changer lentement. Je le ressens petit à petit autour de moi, et, avant qu’ils ne se produisent, je peux voir les évènements à venir projeter leur ombre. Laissez-moi vous en donner un petit exemple. Il y a aujourd’hui une semaine mon médecin de New-York est venu passer quelques jours avec moi. C’était un grand évènement pour une dame qui n’avait pas eu de visites pendant des mois. Il voulait aller au champ de bataille, aussi je m’arrangeais pour rencontrer son train à Esbly, aller avec lui à Meaux, et revenir par la route. J’étais furieuse après moi en arrivant à Esbly de découvrir que j’avais laissé mes papiers chez moi. Mais j’ai réagi d’une façon libre et directe qui correspond à mon caractère, et je me suis dit que comme je n’avais jamais eu à les montrer cela ne changerait rien. Je me suis présentée à l’endroit où l’on achète les titres de transport pour acheter un billet pour Meaux, et vous pouvez imaginer ma contrariété quand on m’a demandé mes papiers. J’ai expliqué au chef de gare qui me connaît que je les avais laissés chez moi. Il en a été très peiné, et m’a dit qu’il prendrait la responsabilité de me vendre un billet si je voulais en prendre le risque, mais que les nouvelles directives étaient strictes, et qu’il était sûr que je ne serais pas autorisée à quitter la gare à Meaux. Naturellement je ne voulais pas prendre un tel risque, ou paraître, de quelque façon que ce soit, ne pas être en règle. Aussi j’ai accueilli le médecin à sa descente du train, je suis retournée ici pour aller chercher mes papiers, et ensuite nous sommes allés à Meaux par la route. J’avais raison car j’ai trouvé tout changé à Meaux. D’abord nous n’avons pas pu avoir une automobile, car le Général Joffre avait donné l’ordre d’interdire la circulation de toutes les automobiles, excepté les véhicules de l’armée, à l’intérieur de la zone militaire. Nous avons pu avoir une petite victoria et un cheval, mais avant nous avons dû montrer nos papiers au préfet de police, et, grâce à notre diplomatie, nous avons pu obtenir un sauf-conduit spécial. Pour commencer, au lieu de passer devant un garde qui accomplit simplement les formalités en regardant les papiers du conducteur, nous avons trouvé l’entrée de la route de Senlis fermée par une barricade, et un seul véhicule pouvait passer à la fois. Il y avait un soldat barrant le chemin avec son fusil, et un officier vint à la voiture et examina tous nos papiers avant que la sentinelle n’épaule son fusil et ne nous laisse passer. Nous avons été arrêtés à tous les carrefours, et, à celui entre Barcy et Chambry, où le socle du monument qui marque la limite de la bataille en direction de Paris est déjà en place, nous avons trouvé un groupe d’une douzaine d’officiers, pas des sous-officiers s’il vous plaît, mais des capitaines et des majors. Là nos papiers, y compris les passeports américains, ne furent pas seulement examinés, mais les signatures et les sceaux furent contrôlés. Cela ne m’a pas dérangée. En vérité j’ai trouvé que c’était bien, qu’il était grand temps de le faire, et que cela aurait dû être fait il y a dix mois. C’était un grand jour, et le champ de bataille était simplement magnifique avec le blé qui avait poussé, et les gens qui circulaient dans toutes les directions. C’étaient principalement des personnes venant de Meaux, et des soldats du grand hôpital de là-bas allant en pèlerinage sur les tombes de leurs camarades. Ce qui rendait la scène particulièrement touchante était le nombre d’enfants, et de nurses poussant des bébés dans leurs voitures. Cela me semblait une si jolie idée de penser que ces petits enfants s’ébattaient dans ce champ de bataille comme si c’était un jardin. Je ne pouvais m’empêcher de souhaiter que la nation soit assez riche pour en faire un jardin public. En dépit du fait de n’avoir seulement qu’un cheval nous avons fait le voyage facilement, et sommes rentrés pour l’heure du dîner. Deux jours après nous avons eu cinq minutes pleines d’émotions. C’était pendant le petit-déjeuner. Le médecin et moi prenions notre café dehors au nord de la maison, à l’ombre du mur couvert de lierre de la vieille grange. A cet endroit la solitude est totale. Personne ne pouvait nous voir. Nous pouvions seulement voir les murs des quelques maisons de Joncheroy, et, au-delà, le vaste panorama, comme un amphithéâtre, avec les tours carrées de la cathédrale de Meaux à l’est, Esbly à l’ouest, et Mareuil-lès-Meaux nichée sur la rivière au premier plan. Vous voyez je regarde encore mon panorama. On ne peut s’habituer à rien, je trouve. Il était environ neuf heures. Il y eut soudain une terrible explosion que nous ressentîmes à nos pieds, car elle secoua le sol qui était sous nous. Nous regardâmes dans la direction d’où elle semblait venir – Meaux – et nous vîmes une colonne de fumée s’élevant aux alentours de Mareuil, à environ 3 kilomètres seulement. Avant d’avoir le temps de dire un mot, il y eut un autre souffle, et alors une seconde explosion, puis une troisième, et une quatrième. J’étais juste clouée sur place jusqu’à ce qu’Amélie se précipite hors de la cuisine, et alors nous courûmes vers la haie, c’était seulement à cent pieds ou si près de la fumée, et nous pouvions voir les femmes courir dans les champs, c’était tout. (Le pied, unité de mesure britannique mesure 0,3048 mètre). Mais Amélie ne pouvait pas rester longtemps comme cela dans l’ignorance. Il y avait un officier d’Etat-Major cantonné à Voisins, et il avait des relations téléphoniques avec Meaux. Aussi alla-t-elle en bas de la colline à la recherche de nouvelles, et quinze minutes après nous sûmes qu’un certain nombre de taubes avaient essayé d’atteindre Paris dans la nuit, qu’il y avait eu une bataille aérienne à Crépy-en-Valois, et qu’un de ces appareils avait lâché des bombes, évidemment destinées à Meaux, près de Mareuil, où elles étaient tombées dans les champs sans toucher personne. Nous n’avons jamais eu d’explications sur le fait de savoir comment un taube avait pu voler au-dessus de nous à cette heure, en plein jour, ou sur ce qu’il était advenu de lui ensuite. Quelqu’un le sait probablement. Si c’est le cas il est évident qu’il ne nous le dit pas. La remarque que fit Amélie quand elle retourna dans sa cuisine fut : « Bien il était plus près que la bataille. Peut-être la prochaine fois … ». Elle haussa les épaules, tout le monde se mit à rire, et la vie continua comme à l’accoutumée. Bien, j’ai entendu le vrombissement d’une bombe allemande, même si je n’ai pas vu l’appareil qui la jetait. Le médecin n’a pas pu s’empêcher de rire jusqu’à son retour à Paris. Je crains qu’il ne me taquine toujours au sujet des spectacles que je monte pour amuser mes visiteurs. Je dois avoir une influence déterminante sur lui, ou bien, avant qu’il ne plaisante, le taube invisible se changera en zeppelin, ou peut-être en flotte de dirigeables. |
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