On the edge of the war zone – chapitre 11
CHAPITRE XI
18 mai 1915
J’ai eu l’intention d’écrire pendant tout le mois d’avril mais je n’en ai pas eu le courage. Tous nos yeux étaient tournés vers le nord, où, du 22 avril au jeudi 13 mai, il y a cinq jours, nous avons appris que la seconde affreuse bataille d’Ypres avait lieu. Il semble qu’elle soit actuellement terminée. Avec les nouveaux et diaboliques gaz asphyxiants, qui ont été diffusés au début de la bataille, et ont fait reculer la ligne du front sur des kilomètres par la terreur que leur surprise a fait naître, ainsi que la destruction du Lusitania le 7, (paquebot transatlantique britannique), ce fut un dur mois, un mois qui a vu ici un étrange changement dans les mentalités. |
J’ai essayé au début de vous faire partager cette sorte d’optimisme bizarre qui a été le fait de tout le monde autour de moi, même pendant les épisodes les plus éprouvants de la guerre. Jusqu’à présent la haine des Allemands a été, en un certain sens, impersonnelle. Ce fut la haine raciale d’un ennemi naturel et d’un mal accepté, en relation avec le refus de la guerre. Cela avait avait forgé un étrange, inattendu, tout compte fait remarquable changement du peuple français. Leurs visages étaient devenus plus sérieux, leur comportement plus héroïque, leur rire moins fréquent, et leur humour plus mordant. Mais, il y a trois semaines, le jour où les nouvelles de la première attaque au gaz sont arrivées, avant celle où les zouaves et les tirailleurs algériens ont fui avec des visages noircis et des lèvres écumantes, laissant des centaines de leurs compagnons morts et défigurés sur la route de Langtmarck, là se sont révélés les premiers signes de l’horrible haine que j’aie vue. (A l’époque l’Algérie était française. Les tirailleurs algériens dépendaient donc de l’Armée française).
Je reconnais franchement qu’étant donné le genre de conflit que le monde connaît actuellement, je doute très fort qu’il soit pire d’être asphyxié que d’être déchiqueté par un obus. Mais cette arme nouvelle et diabolique que l’Allemagne a ajoutée aux horreurs de la guerre, semble la goutte d’eau qui a fait déborder le vase, et, en l’espace de quelques semaines, j’ai vu monter chez ces gens simples la conviction que la race qui avait planifié et déclaré la guerre avait perdu le droit même de vivre, et qu’aucun des rêves du monde qui aspire au bonheur, ne pourrait jamais être réalisé tant que la Prusse existerait, même si la guerre durait vingt ans, et même si le monde entier devait intervenir. Dans cet état d’esprit arriva, il y a dix jours, les nouvelles de la destruction du Lusitania. Nous avons eu la nouvelle ici le 8. J’en suis restée muette. Pendant deux ou trois jours je restais tranquillement dans la maison. Je pense que les gens autour de moi s’attendaient à ce que les Etats-Unis déclarent la guerre en vingt quatre heures. Mes voisins qui passaient devant ma barrière me regardaient curieusement comme s’ils me saluaient, mais avec moins de cordialité au fil des jours, comme s’ils avaient pitié de moi, et ne voulaient quand même pas être durs avec moi, ou me tenir pour responsable. Vous savez assez bien ce que je ressens au sujet de ces choses. Je n’ai pas de sentimentalité concernant la guerre. Une personne qui en aurait, et essaierait de vivre si près d’elle, serait sur la route qui conduit tout droit à la folie. Pourquoi le monde ne peut-il pas arrêter la guerre, ni les gouvernements organisés parvenir à un code moral qui applique aux nations la même loi concernant le bien et le mal que celle qui est imposée aux individus. Le monde et l’humanité doivent en tirer les conséquences, et se réconcilier avec la croyance que des guerres comme celle-ci sont nécessaires comme des opérations chirurgicales. Si on accepte ce point de vue, et je suis prête à le faire, alors tout acte diabolique de l’Allemagne va rebondir pour le bien futur de la race, ce qui, de l’avis de tous, justifie la haine grandissante envers l’Allemagne. On nous apprend qu’il est juste, moral, et nécessaire à tout point de vue, de haïr le mal, et, en ce vingtième siècle, l’Allemagne est le plus absolu synonyme du mal que l’histoire n’ait jamais connu. Ceci dit, il ne me semble pas avoir besoin de m’étendre sur le sujet. Pendant ce temps je me suis mise à imiter les gens autour de moi. Ils labourent assidûment leurs champs. Je continue à tondre ma pelouse, à planter mes dahlias, à élaguer mes roses, à attacher ensemble mes petits pois en fleurs, et à regarder mes coquelicots de Californie pousser comme de la mauvaise herbe dans les champs. Bien, je ne fais pas cela avec un pot dans une main et les tongs dans l’autre. J’extraie les limaces des plates-bandes et les passe sous l’eau bouillante, ou me promène avec un arrosoir. Je le fais énergiquement mais mon cœur n’y est pas, bien que le jardin, qui est le plus beau symbole du peuple français que je puisse imaginer, en soit bénéficiaire de la même façon. Nous avons toujours les dragons avec nous. Ils ne m’intéressent pas énormément. Ce qui n’est pas le cas des anglais quand ils se sont retirés ici en septembre dernier, ni celui de l’infanterie française sur le chemin du champ de bataille. Ces hommes n’ont encore jamais été en action. Ils prêtent un côté pittoresque à la campagne, bien qu’à mon avis cela ressemble trop jusqu’à présent à un décor de tragédie. Chaque matin ils défilent à cheval deux par deux devant la barrière pour entraîner leurs charmants chevaux, et s’en vont juste avant midi. Tout l’après-midi ils passent par groupes, fumant, bavardant, et riant, et, exception faite de leurs uniformes, ils ne font pas penser à la guerre qu’ils connaissent actuellement aussi peu que moi. Après dîner, au crépuscule, comme les jours rallongent et que la lune est pleine, je les écoute chanter dans la rue à Voisins. Ils chantent magnifiquement bien, et de la bonne musique. L’autre soir ils ont chanté les choeurs de « Louise » et de « Faust », et un superbe baryton a chanté « Vision fugitive ». L’air était si calme et si clair que je n’ai guère perdu une note. Nous avons été, il y aura ce soir une semaine, réveillés tard dans la soirée, il devait être près de minuit, par le passage d’un zeppelin. Je me levai et sortit, mais n’entendit ni ne vit rien, sauf une bicyclette circulant de l’autre côté de la colline, et une voix disant : « Eteignez les lumières ». Evidemment il n’allait pas à Paris vu que les journaux ont été absolument muets. Une chose que j’aie faite cette semaine. Quand la guerre a commencé j’ai acheté, ce que presque personne d’autre n’a fait, une grande carte de l’Allemagne avec les fronts de bataille indiqués, et des petites enveloppes contenant des drapeaux britanniques, belges, français, monténégrins, serbes, russes, allemands, et autrichiens, montés sur des épingles. Chaque jour, jusqu’à la fin de la semaine dernière, je mettais les drapeaux en place aussi bien que je le pouvais après avoir étudié le communiqué du jour. J’ai commencé à être découragée au cours des jours éprouvants du mois dernier, quand jour après jour j’étais obligée d’enlever les drapeaux alliés de la frontière, et quand l’offensive russe échoua, j’ai simplement enlevé en la déchirant la carte du mur, et l’ai brûlée ainsi que les drapeaux. Naturellement je me suis dit, dans un esprit inspiré par la culture militaire : « Toutes ces choses ne sont que des incidents, et n’auront pas d’effet sur le résultat final. Une nation n’est pas vaincue tant que son armée se tient toujours dans ses bottes, ainsi c’est une folie de se tracasser pour des détails. » Vous êtes-vous déjà demandé ce que les poètes du futur feront de cette guerre ? Est-elle trop extraordinaire pour eux, ou quand ils y penseront pourront-ils trouver les mots qui conviennent quand nous n’avons actuellement que nos gorges serrées, et une grande fierté qu’à un âge catalogué comme étant commercial de tels actes d’héroïsme puissent exister ? Qui chantera l’hymne funèbre à la mémoire du Général Hamilton dans le petit cimetière de Lacouture en Octobre dernier, quand le salut d’adieu devant sa tombe fut perturbé pour repousser une attaque allemande, alors qu’on entendait toujours la voix calme et claire du prêtre à la fin de la cérémonie ? Qui chantera la destruction des Royal Scots, (régiment britannique composé principalement d’écossais), deux semaines plus tard à la bataille d’Ypres ?
Qui chantera l’arrivée du Général Moussy et du corps français le dernier jour de la première bataille d’Ypres, quand un rassemblement hétéroclite de cuisiniers, d’ouvriers, d’officiers d’état-major, auxquels s’était jointe une cavalerie à pied, avec leurs casques brillants, se jetèrent pêle-mêle dans une charge de baïonnettes sans baïonnettes, pour délivrer avec succès la division sous les ordres du Général Bulfin ?
Qui chantera le grand hymne en l’honneur des 100 000 hommes face à un demi million qui ont pris Ypres, et bloqué la porte vers la Manche ?
Qui chantera les éminentes qualités des combattants de la septième division Rawlinson qui ont tenu la ligne en ces jours d’octobre jusqu’à l’arrivée des renforts, et qui, à la fin du combat, ne comptaient plus dans leurs rangs que 44 officiers sur 400, et seulement 2336 hommes sur 23000 ?
Qui chantera l’épisode émouvant des chasseurs français avançant avec leurs clairons, et criant la « Marseillaise », pour prendre d’assaut le Col du bonhomme dans un style guerrier aussi vieux que l’histoire française ?
Et ce ne sont que de simples exploits dans une guerre maintenant enfermée dans une image triste et terne de tranchées, image qui ne correspond qu’aux premiers mois du conflit.
Cela ne fait-il pas circuler votre sang plus vite ? Vous voyez je suis tentée de faire un discours solennel. Vous devez ignorer mon éloquence ! Nous devons ici, au cœur de tout cela, ressentir un grand respect pour la nature humaine actuellement. L’esprit d’héroïsme et de sacrifice de soi existe encore parmi nous. Un monde d’industrialisation n’a pas encore engendré une race incapable de grandeur. J’ai le sentiment que du sol, où tellement de milliers d’hommes sont retournés pour sauver l’honneur de leur pays, peut surgir une France plus grande que jamais. C’est le mythe d’Atlas, (Titan de la mythologie grecque, voir Wikipedia). En outre, « Que peut faire un homme de plus », vous connaissez la suite. Ressentir que notre pays est de façon évidente en train de repousser une occasion qui aurait pu être à la fois salutaire et édifiante est une des choses qui me désolent. Je sais que vous n’aimez pas que je dise cela, mais je ne peux me retenir. A propos de la bataille de Ypres : http://figs.over-blog.com/article-24672914.html |
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Nous poursuivons l’évocation de la grande guerre, vue de Quincy-Voisins par une américaine, et grace à la traduction de Florence Pigoreau.
Cet épisode retrace deux événéments marquants de cette guerre.
Tout d’abord la destruction du paquebot Lusitania, bateau anglais mais où périrent beaucoup d’américains. Et où l’on voit que les gens de l’époque pensaient que les USA rentreraient en guerre après cette attaque, ce qu’ils ne firent que 2 ans plus tard.
Ensuite le premier emploi des gaz lors de la 2ème bataille de Ypres, « technique » de guerre redoutable, et interdite, mais qui fit beaucoup de morts et de blessés. Certains en morrurent des années après. Pour d’autres ce fut moins grave, comme mon grand-père qui finit centenaire mais qui du se soigner presque toute sa vie après avoir inhalé ces terribles gaz pendant la guerre.
Une vision aussi en « live » comme on dit maintenant, avec la mentalité de l’époque au travers des drames qui se vivaient tous les jours.
Mon oncle aussi, décédé à 81 ans, avait été gazé. Cela s’était porté sur les cordes vocales. Sa voix était voilée, mais, à mon avis, audible quand même sans problème. On lui avait proposé une opération, ou un traitement, mais il n’avait pas accepté.
Le torpillage du Lustiania, c’était il y a 100 ans aujourd’hui :https://fr.news.yahoo.com/7-mai-1915-naufrage-lusitania-1200-morts-torpillage-043742164.html