On the edge of the war zone – chapitre 10
CHAPITRE X
23 Mars 1915
Peut-il être possible que ma dernière lettre remonte à deux mois ? Je ne pouvais le réaliser quand j’ai reçu votre lettre de reproches ce matin. Mais j’ai regardé dans mon livre de correspondance et vu que c’était vrai. La vérité est que je n’ai rien à écrire. L’hiver et ses inconforts ne m’inspirent pas plus que les nouvelles du front, et je n’ai pas besoin de vous dire ce qui n’a pas d’intérêt pour moi. Nous avons eu un hiver humide, désagréable, et changeant, l’un des plus horribles que je n’aie jamais connu. Il n’y a presque pas eu de neige, presque jamais de gelées, et non seulement il y a de la boue, de la boue partout, mais aussi des inondations. Aujourd’hui la Marne ressemble plus à une mer ouverte qu’à une rivière à travers champs dans la vallée. On peut imaginer comment c’est là-bas dans les tranchées. |
Nous avons occasionnellement des journées agréables, quand il fait plus chaud dehors que dedans, ce qui me permet de planter des tulipes et des petits pois.
J’ai parfois essayé de me procurer du combustible, et quand j’y suis arrivée j’étais toujours tellement confortable chez moi. Généralement quand le temps était très mauvais je n’en trouvais pas, et étais aussi inconfortable que mon pire ennemi pouvait le vouloir. En principe mes journées ont été divisées en deux parties. Dans la matinée j’ai surveillé la barrière dans l’attente du journal. Dans l’après-midi j’ai épluché de nouveau les nouvelles, dans la vaine tentative d’en extraire quelque chose d’encourageant entre les lignes, et j’ai échoué. Jusqu’ici je n’ai rien trouvé de tangible qui justifie un tel espoir qui continue de jaillir dans notre sein, (allusion au poète du XVIIIème siècle, Alexander Pope, qui a écrit : «L’espoir est éternel dans le sein humain ».) Il jaillit cependant on peut en remercier les gouvernements. C’est à présent un gros atout pour la France. Un zeppelin, (aérostat de type dirigeable de fabrication allemande), est arrivé à Paris la nuit dernière. Nous sommes désolés mais nous l’avons oublié dès que les femmes et les enfants ont été enterrés. Nous sommes désolés mais ce n’est pas important. Il y a un peu plus d’animation ici. Avant-hier un régiment de dragons est arrivé. Ils sont cantonnés pour trois mois. Ce sont des hommes du midi, et, hélas ! pas trop populaires en ce moment. Ils ont quand même été bien reçus, et leur présence égaie l’endroit. Ce matin, avant de me lever, j’ai entendu les chevaux trotter lors de leur exercice matinal, et je me suis levée pour les voir évoluer le long de la colline. Après le silence mortellement ennuyant de l’attente qui a régné ici tout l’hiver, ce côté de la colline ressemblait à un autre endroit. Ajoutez à cela que le travail des champs a commencé, et que, quand le soleil brille, je peux aller sur la pelouse, regarder les charrues retourner la terre, et voir partout les taches vertes des céréales d’hiver, et, je n’ai pas besoin de vous le dire, avec le printemps mes pensées prennent un tour plus vif. La campagne commence à être belle. Je me suis promenée en voiture le long de la vallée du Grand-Morin hier après-midi. Les grandes plaines de la vallée ont été labourées, et les robustes chevaux traînant les charrues à travers les vastes champs composaient une scène charmante, comme un tableau de Millet ou de Daubigny. Depuis que je vous ai écrit je suis retournée au champ de bataille pour accompagner un/e amie/e, qui est venu/e de Paris. C’était comme un nouveau tableau. Le grain qui commence à germer colore d’un vert tendre la terre qui est autour des tombes, lesquelles ont même été mises dans un meilleur ordre que la dernière fois que je les ai vues. Les croix grossières faites avec du bois dont on n’avait pas enlevé l’écorce, ont été remplacées par de hautes croix peintes en blanc, fabriquées avec soin, portant chacune un nom et un numéro. Chaque simple tombe et chaque groupe de tombes sont séparés des autres par un petit espace, et entourés d’une barrière en fil de fer. Cependant un petit accès est toujours aménagé. Les autorités militaires rappellent aux visiteurs que ces champs sont propriété privée, qu’ils sont plantés, et les enjoignent poliment à se conduire en conséquence, ce qui veut dire littéralement à ne pas marcher sur le blé. Les tombes allemandes qui, d’après mes souvenirs, étaient non identifiées il y a quatre mois, portent maintenant des disques noirs avec un numéro en blanc. Vous ne devez pas vous inquiéter si je suis triste ces jours-ci. J’ai étudié une carte du front de la bataille que j’ai découverte par hasard. Ce n’est pas encourageant. Cela nous fait réaliser ce qui reste à accomplir. Ce sera fait, mais à quel prix ? Le printemps est quand même là, et malgré soi, cela aide. |
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