On the edge of the war zone – chapitre 6
CHAPITRE VI
28 novembre 1914
Je suis désolée d’apprendre, par votre lettre du 16 octobre que je viens de recevoir, que vous êtes déçue du fait que je « n’écris pas beaucoup au sujet de la guerre ». Chère enfant je n’en vois rien. Nous sommes installés ici dans une vie qui est proche de la normalité, beaucoup plus normale que je ne l’aurais rêvé à environ 60 kilomètres du front. Nous sommes encore, et serons probablement au moins jusqu’au printemps, dans la zone des opérations militaires. Nos communications avec le monde extérieur sont fréquemment coupées. Notre courrier nous arrive avec une grande irrégularité. Notre courrier local passe même par Meaux, où il est gardé cinq jours à cause de la censure. Une réponse envoyée de Paris à une lettre met environ dix jours pour arriver. Tout ce que je vois actuellement qui me rappelle la guerre, maintenant que nous sommes habitués à l’absence des hommes, se trouve sur la route nationale quand je descends à Couilly. C’est, à travers champs, une courte et jolie promenade. Amélie la fait en vingt minutes. Je le pourrais si je ne devais pas grimper cette terrible colline au retour. |
En plus il y a une épaisse couche de boue. J’ai une drôle de petite charrette à quatre roues, couverte, si je veux tirer les rideaux. Je l’appelle mon landau, et vraiment, quand elle est attelée à Ninette, je suis comme un grand bébé dans sa poussette, et aucune des nurses que j’ai connues ne pousserait un landau aussi vite que le fait mon ânesse. En plus cela me convient. Je suis assise confortablement et voyage lentement, n’ayant pas la notion du temps, si lentement que je peux observer le blé en germe, et regarder les oiseaux, la vue, et les nuages. Je tiens les rênes parce que cela fait mieux, bien que je n’en aie pas besoin, et je doute que Ninette me suspecte de faire quelque chose qui soit inadapté. Je rencontre sur la route des officiers à cheval, des véhicules militaires, des courriers de l’armée bruyants sur leurs motocycles, des poids lourds montant la colline en gémissant, ou la dévalant, et de temps en temps un long train d’ambulances. Presque chaque matin à 9 H. je peux voir la longue file de camions transportant le ravitaillement vers le front, et l’autre après-midi, comme je montais la colline, j’ai rencontré un train d’ambulances la descendant. Les gros véhicules gris glissaient l’un après l’autre autour du virage de la Demi-Lune, et défilaient simplement à côté de moi, soulevant un tel nuage de poussière, qu’après en avoir compté trente je ne pouvais plus les voir, et la sonnerie continuelle de leurs cornes commençaient à rendre Ninette nerveuse. Elle n’avait jamais rien vu de semblable avant. Ainsi, par peur, elle risquait d’avoir une réaction qu’elle n’avait jamais eue de sa vie, comme faire un écart. Egalement de crainte que les conducteurs, qui se déplaçaient exactement dans le milieu de la route, ne me voient pas à cause de la poussière, ou qu’une voiture puisse déraper, je m’éloignais et conduisis mon équipage le reste du chemin. Je vous assure que ce sont actuellement les seuls signes de la guerre que je vois, bien que, naturellement, nous entendions toujours le canon.
Mais, bien que nous ne la voyions pas, nous la ressentons de bien des façons, mes voisins plus que moi. Par exemple le marché des fruits a été une perte absolue. Heureusement le cassis s’en est sorti avant que la guerre ne soit déclarée. Mais nous apprenons que ce fut une perte pour les acheteurs. Forcément il fut acheminé vers les ports de la Manche et vendu à bas prix. Mais il n’y a pas de marché pour les pommes et les poires. Lors des années ordinaires les acheteurs viennent acheter les arbres, envoient leurs propres cueilleurs et emballeurs, et cela est vendu au grand marché du samedi à Meaux. Cette année il n’y a pas de marché à Meaux. La ville est encore en partie vide, et la voie ferrée ne peut pas transporter de marchandises. C’est une perte tragique pour le petit cultivateur, bien qu’il n’en subisse pas encore les conséquences, et que ce genre de gains viennent généralement grossir ses économies. A propos nous n’avons toujours pas de charbon. Je me chauffe au bois dans le salon, et au bois vert. Le grand feu, quand j’arrive à l’obtenir, convient mieux à ma maison que la salamandre. Mais je ne peux pas avoir une température supérieure à 42 degrés fahrenheit. Je suis habituée à 60, et je me souviens que vous trouviez généralement cette température trop basse à Paris. J’ai le visage plein d’ampoules et le dos gelé, comme dans les anciens jours du glorieux octobre à la ferme, à New Sharon où ma mère est née, et où j’ai passé mes étés et une partie de l’automne durant ma scolarité.(New Sharon est un bourg de l’état du Maine aux Etats-Unis). Vous devez penser que cela devrait être facile de se procurer du bois. Ce n’est pas le cas. L’armée en utilise beaucoup, et ceux qui, lors des hivers ordinaires, ont du bois à vendre, doivent le garder pour eux cette année. Père a coupé tous les vieux arbres qu’il a pu trouver, vieux pruniers, vieux pommiers, vieux châtaigniers, qui ne constituent pas le meilleur bois de chauffage qui soit. Cela m’a beaucoup affectée. Mais il a déclaré qu’il voulait faire des coupes sur deux terres, et j’essaie de me rendre à son avis. Avez-vous déjà brûlé du bois vert ? Si oui, sans commentaire. Vous attendez de moi que j’écrive souvent, mais malheureusement je suis une personne d’habitude. Je ne pourrai jamais écrire comme vous, blottie contre le feu avec un coussin sur les genoux. Je suppose que j’aurais pu prendre cette habitude si j’avais commencé mon éducation à la Sorbonne au lieu de la policer ici. Je me souviens, quand j’ai commencé à fréquenter cette université il y a dix huit ans, combien j’étais amusée de voir les étudiants vêtus d’un manteau, un chapeau sur les genoux, munis d’un carnet de notes, tenant un encrier dans une main, un porte plume dans l’autre, et malgré tout absorbés par le cours. Je me demandais s’ils avaient jamais entendu parler de « stylos », même si je comprenais, comme je ne l’avais jamais compris avant, le réel amour de l’étude qui marque la race. Hélas j’ai besoin de me trouver à mi-chemin de conditions de confort parfaites pour accomplir la moitié de n’importe quel travail. Je suis contente que la température soit un peu plus clémente, et la vie autour de moi a été active. L’autre jour c’était la grosse batteuse. Le travail était fait principalement par des femmes, et l’air était plein de vibrations et de poussière. Hier c’était le pressoir à cidre, et je me tenais à proximité avec Amélie, au soleil, pendant la moitié de l’après-midi, regardant le moteur hacher les pommes, et le pressoir presser le jus jaune qui se déversait moussant dans de grandes cuves. Avez-vous déjà bu un tel cidre ? Ce n’est que comme ça que je l’aime. Cela me ramène au temps de mon enfance et de ma jeunesse, et aux étés à la Sandy River Valley. Je ne sais pas pourquoi depuis quelque temps mon esprit revient si souvent à ces jours, et avec une telle affection. Peut-être est-ce seulement parce que je me retrouve habitant à la campagne. Il est peut-être vrai que la vie est un cercle, que quand on approche de la fin le commencement devient visible, et, associé à la fois au début et à la fin du mien, il y a une guerre. Cependant ceci demande explications. Il reste que le milieu du cercle est effacé. Pendant ces calmes nuits, quand je ne peux pas dormir, je pense plus qu’à toute autre chose à la route descendant la colline près de la ferme de New Sharon, et au bruit des chevaux et des chariots quand ils arrivaient en bas, et traversaient le pont de bois au-dessus du ruisseau, ainsi qu’aux voix, si étranges dans la nuit quand ils passaient. Il y avait plus de sons nocturnes dans ces souvenirs que je n’en ai jamais entendus ici, plus de criquets, plus de mouvements dans la nature, endormie ou éveillée. Je n’entends pas souvent ici les bruits de la nuit. Depuis le coucher du soleil quand on entend le claquement des sabots à travers les champs, jusqu’à l’aube quand les oiseaux s’éveillent, c’est le silence. Je regardais dehors au clair de lune avant de fermer mes volets la nuit dernière. J’aurais pu être seule au monde. Pourtant j’aime cela. La campagne est très jolie ici en hiver, tellement différente de celle que j’ai connue autrefois chez mes parents. Ma pelouse est toujours verte, ainsi que la corbeille d’argent sur la plate-bande qui est pleine de bouquets de fleurs argentées, et le sera tout l’hiver. Les violettes sont encore en fleurs. Même les arbres ici ne deviennent jamais noirs comme c’est le cas en Nouvelle Angleterre, parce que les troncs et les branches sont toujours recouverts de mousse verte. C’est l’humidité. Naturellement nous n’avons jamais le froid sec et revigorant qui fait que l’hiver en Nouvelle Angleterre est si merveilleux. Je ne peux pas dire que l’un soit plus beau que l’autre, seulement que chacun est différent dans son charme. Après tout la vie, partout où on la voit, est, si on sait voir, un magnifique spectacle, le plus grand mélodrame spectaculaire que je puisse imaginer. Je suis contente de l’avoir vu. Je n’ai pas toujours eu un fauteuil d’orchestre, mais quoi ? On doit voir les choses sous plusieurs angles et à plusieurs niveaux, vous savez. |
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