On the edge of the war zone – chapitre 5
CHAPITRE V
7 Novembre 1914
Ce n’est qu’en regardant mon cahier de correspondance ce matin, que j’ai réalisé que j’avais laissé passer trois semaines sans vous écrire. Je n’ai pas d’excuse à présenter, à moins que le suspense de la guerre puisse en être une. Nous sommes partis pour une longue guerre, et cependant nous sommes armés d’espoir. Je peux vous dire que chaque jour demande du courage. La chute d’Anvers fut acceptée comme étant inévitable. Mais ce fut pour nous un jour triste. Je n’ai pas l’habitude de vous écrire des choses de ce genre. Je présume que vous n’avez pas besoin qu’on vous en parle alors que vous êtes si loin, que pour moi personnellement cela ne pourrait qu’accroître le reproche que je ressens dans le fait que Washington n’a pas protesté, comme je m’y attendais, quand la frontière belge fut traversée. Cela aurait eu seulement un effet moral, mais cela aurait été un coup entre les yeux des allemands nerveux. Toutes les nouvelles qui nous viennent du front nous disent que les garçons passent très bien l’hiver dans les tranchées. Ils n’ont pas le choix. C’est tout. |
Amélie est plus étonnée que moi. Quand elle se mit à réaliser qu’ils devaient rester dehors dans la pluie, la boue, et le froid, elle haleta qu’ils ne tiendraient jamais.
Je lui demandai ce qu’ils devaient faire, s’allonger et attendre que les allemands tirent sur eux. Sa seule réponse fut qu’ils mourraient tous. Il est encore dur pour elle de réaliser la résistance de sa propre race. Je réalise en plusieurs jours, dans une faible mesure, ce que les hommes endurent. Je prends chaque jour un peu d’exercice en parcourant mon jardin. J’ai toujours dans la poche de mon sweater un déplantoir, et je m’arrête tous les dix pas pour enlever la boue de mes sabots. J’enlève un petit morceau de ma propriété terrienne à chaque pas. Ainsi je peux au moins deviner ce que cela doit être dans les tranchées. Le fait que le sol français soit cultivé sur de larges étendues, et bien fertilisé, présente des inconvénients dans un pays, où, contrairement à ce qui se passe dans la Nouvelle Angleterre, la terre gèle rarement. J’ai également très froid.Quand je suis arrivée ici j’ai trouvé un marchand de charbon qui acceptait de me livrer le charbon une fois par semaine. J’avais une longue boîte munie d’un couvercle le long de la cuisine, qui pouvait largement contenir la quantité suffisante de charbon pour la semaine. Le système avait deux avantages, il me permettait d’avoir un fournisseur dans la commune, ce que j’appréciais, et il dispensait Amélie d’avoir à transporter des sacs de charbon par tous les temps. Mais, hélas, les communications ferroviaires étant coupées, plus de charbon ! J’avais assez de gros bois pour me chauffer pendant les premières semaines, et il m’en reste encore. Mais il sera difficile de tenir jusqu’à Noël, et le feu dans la cheminée chauffe moins bien que la salamandre. Mais c’est la guerre et je ne dois pas encore me plaindre. Vous m’accusez dans votre dernière lettre d’être désinvolte en ce qui semble des circonstances tragiques. Je suis désolée de vous faire cette impression. Je ne suis absolument pas désinvolte. Je peux seulement vous conseiller de venir ici, de vivre un peu dans cette atmosphère, et de voir comment vous le ressentirez. Je regrette mais il est impossible, sans l’avoir vécu, de savoir ce à quoi on doit faire face dans le contexte que je vis. Je dois avouer que si j’avais eu ici un être cher dont j’étais, ou m’imaginais être, responsable de la sécurité et du courage moral, (car, après tout, nous ne sommes responsables de personne), mon humeur, et peut-être mes actes, auraient pu être différents. Je ne sais pourquoi aucun des hommes que je vois n’a l’air de se sentir un héros. Ils semblent juste penser qu’ils font seulement leur devoir. Par exemple, vous souvenez-vous de ce beau garçon, le jeune frère de mon ami sculpteur, l’anglais qui a été dans l’artillerie lourde, et était allé en Chine et dans le nord du Nigeria comme aide de camp, et finalement assistant gouverneur général, de Sir Frédéric Ludgard ? Bien il était avec la première division qui était en France au milieu d’Août. Il a fait toute cette longue, dure, retraite, de la Belgique jusqu’à la Marne, ainsi que la terrible Bataille des Rivières. Je joins une lettre que je viens de recevoir de lui parce que je pense qu’elle est caractéristique. Si de surcroît vous vous souvenez de lui je suis sûre qu’elle vous intéressera. Je ne sais pas d’où elle vient. Ils n’ont pas le droit de le dire. Elle est arrivée sans timbre de la poste comme les lettres de l’armée, le transport est gratuit, avec le timbre rond et rouge de la censure, une couronne au milieu, les mots « passé par la censure », et le numéro correspondant. La voici : Ma très chère M… 30 Octobre 1914 La nuit dernière j’entendais vos nouvelles concernant la période du 1er au 9 Septembre, et je bouillais de déception d’apprendre que mes tentatives d’ atteindre Huiry le 4 Septembre avaient échoué. Sur le moment j’étais alors assez déçu, puis mon regret fut tempéré par la pensée que vous étiez probablement en sécurité à Paris, et que je trouverais seulement une maison vide à La Creste. Maintenant que je sais que je vous – vous !!! aurais trouvée, cela me rend fou, même après ce laps de temps, de vous avoir manquée. Maintenant laissez-moi vous dire comment vous avez failli recevoir ma visite. J’ai quitté l’Angleterre le 17 Août avec la 48ème Batterie Lourde, (troisième division). Nous étions à Rouen, et, en passant par Amiens, nous nous sommes rendus par le train à Houtmont qui est à quelques kilomètres de Mauberge. Là nous sommes descendus du train à 2 H. du matin, nous avons marché à travers Malplaquet en Belgique, et nous nous sommes de nouveau trouvés face à l’ennemi. L’histoire de la retraite anglaise doit maintenant vous être familière. Ce fut une magnifique expérience. Je suis content de l’avoir connue bien, que je ne sois pas désireux de revivre une telle chose. Nous avons traversé la Marne à Meaux le 3 Septembre, marché à l’est de Signy-Signets. De façon assez amusante, ce ne fut qu’après avoir traversé la Marne que je réalisais soudain que je me trouvais proche de vous. Notre route, malheureusement, s’éloignait de vous, et je ne pouvais pas demander à la quitter, alors que nous étions en marche pour parcourir peut-être de nombreux kilomètres dans une autre direction. Le jour suivant cependant, le 4, nous sommes un peu revenus sur nos pas, et nous nous sommes arrêtés pour bivouaquer, à une courte distance à l’ouest d’un village qui s’appelle La Haute Maison, à environ 10 kilomètres de chez vous. Je demandais la permission de me diriger vers Huiry. Le Major, avec beaucoup de regrets, refusa de me laisser partir, à juste titre, car une heure après on nous ordonna de continuer à marcher. Nous avons marché pendant toute cette nuit. J’ai signalé notre route avec des flèches sur la petite carte ci-jointe. Nous avons atteint un endroit appelé Fontenay à 8 H. 30 environ le matin suivant. J’étais à environ 45 kilomètres de vous, et pas en état de vouloir autre chose que dormir et manger. Ce fut notre position la plus avancée au sud. Mais, c’est triste à dire, en avançant nous nous sommes déplacés sur une route plus loin à l’est, et il fut impossible de vous rejoindre. Nous avons ensuite traversé la Marne à un endroit nommé Nanteuil. J’ai eu votre première lettre au sud de Mons après environ un jour de marche. Mon grand amour, très chère M… écrivez-moi de nouveau. N’est-ce pas là une façon paisible de relater l’expérience éprouvante de cette retraite ? C’est seulement un modèle de lettre de soldat. S’il a été déçu vous pouvez imaginer que je le fus aussi. Je l’avais heureusement vu en Juin. Il était en visite ici, venant juste de rentrer du nord du Nigeria, après avoir passé cinq ans dans le service civil pour obtenir son grade dans l’armée. Il n’imaginait pas qu’il y aurait une guerre immédiatement S’il était venu cet après-midi imaginez ce que j’aurais ressenti en le voyant arriver. Il m’aurait trouvée en train de servir le thé au Capitaine Edwards des Bedfords. Cela aurait sûrement apporté une touche de réalité à la bataille des jours suivants. Naturellement je savais qu’il était quelque part là-bas. Mais, en fait, le voir aurait été différent. Toutefois ce n’est pas certain, car je suis sûre que sa conversation aurait été aussi paisible que ses lettres, et on dirait, à les lire, qu’il fait un passionnant voyage d’agrément avec les risques les plus intéressants qui soient. C’est tellement anglais. Je suppose qu’un jour prochain nous nous assiérons ensemble sur la pelouse. Il mentira probablement, et nous échangerons des histoires merveilleuses, car je vais être un des vétérans de cette guerre. Je dois avouer que, quand je lis la lettre, je la trouve suggestive des jours passés. Imaginez la marche à travers Malplaquet et toutes ces Flandres Occidentales, avec les souvenirs de Marlborough. Les hollandais ayant laissé le duc libre de faire ce qu’il voulait, il aurait marché sur Paris avec les autres alliés, comme il avait marché sur Lille. Je dois avouer que cette histoire, avec ses souvenirs des pires ennemis d’hier devenus les amis intimes d’aujourd’hui, me donne peu d’espoir de voir se réaliser la vision idyllique de la paix universelle. Cependant je dois confesser qu’aujourd’hui l’attitude des français envers les anglais, et des anglais envers les français, est presque enthousiasmante. Le soldat anglais et le soldat français sont charmants l’un avec l’autre. C’est pourquoi les paysans français aiment les anglais. Ils n’en ont jamais vus avant, et leur admiration, ainsi que leur dévotion au Tommee, comme ils l’appellent, est sans limite. (Il s’agit de l’homologue du poilu, à noter que dans le texte il y a deux orthographes : Tommee, et, comme nous le verrons ci-dessous : Tommy). Ils pensent qu’il est si « chic », (en français dans le texte), et il l’est. Personne, même pas moi qui les aime tant, ne pourra jamais prétendre que le « piou piou », (ancien terme argotique pour désigner un jeune soldat français), est chic. Le conscrit français, avec ses comportements inadaptés, a été trop souvent l’objet de sarcasmes affectueux, et le sujet de caricatures, pour ne pas faire sourire le monde entier. Vous voyez les équipements de l’armée se font seulement en trois tailles. D’après ce que j’ai observé, aucune de ces trois tailles ne correspond aux mesures de qui que ce soit, et ainsi l’homme qui a une taille « intermédiaire, » bien, il se trouve dans une mauvaise situation. Mais quoi ? Il ne semble pas s’en soucier. Il est tellement occupé par les combats du jour, exactement comme à l’époque du grand Napoléon, que personne ne se préoccupe de son apparence, et sûrement pas lui. Vous pourriez penser qu’il pourrait être un peu attentif à sa présentation, quand il entre en contact avec son homologue anglais plus élégant. Pas du tout. Le poilu admire simplement le Tommy et est fier de lui. J’aimerais beaucoup que vous les voyiez ensemble. Le poilu étreindrait le Tommy et l’embrasserait sur les deux joues, s’il osait le faire. Mais, inutile de le dire, c’est la dernière chose que le Tommy désire. Ainsi, faute de mieux, (en français dans le texte), le poilu marche aussi près du Tommy qu’il le peut, quand il en a l’occasion, et le Tommy, réservé et sûr de lui, l’y autorise sans un sourire, ce qui est bien. Cependant, à sa façon, le Tommy l’admire en retour. C’est réciproque. Il serait souhaitable que l’anglais apprenne à se détendre. Je ne sais pas. L’état d’esprit qui l’a porté, et qui lui a permis de se frotter partout dans le monde à toutes sortes de conditions et tant de civilisations sans changer son caractère, et, cas unique, sans ressentir le mal du pays, a persisté pendant des siècles. Peut-être était-il ancré dans le fond de ses os, de ses fibres, et de son âme, pour durer toujours. Peut-être a t-il fait ses jambes et sa colonne vertébrale si droits qu’ils ne peuvent fléchir. Il a, concernant ses loisirs, des goûts qui lui sont propres, mais qui sont surtout orientés vers le sport. J’imagine difficilement qu’il adopte le genre français, que la façon de s’exprimer et les mentalités reflètent largement, ce qui a donné à ce peuple les visages les plus mobiles du monde. Je joins une copie de la petite carte que le Capitaine S m’a envoyée. Elle peut vous donner une idée de la route que les anglais ont empruntée pendant la bataille, et de la longue marche forcée qu’ils ont faite après les combats des deux semaines se terminant le 30 Août. J’imagine qu’ils étaient trop fatigués pour remarquer combien la région était belle. Le temps était délicieux, et le long de la route qui va de La Haute Maison, en passant par La Chapelle, jusqu’à la vieille ville entourée de douves de Crécy en Brie, au coucher du soleil, le paysage devait être magnifique. Et il devait être encore plus joli sur le trajet menant par Voulangis jusqu’à la Forêt de Crécy sur le chemin de Fontenay, sous le clair de lune, avec le panorama de Villiers et de la Vallée du Morin vu à travers les arbres de la route sinueuse, et Montbarbin se dressant, dans une lumière blanche au haut de la colline, comme une ville de conte de fées. Fatigués comme ils l’étaient, j’espère vivement qu’il y en avait parmi eux qui pouvaient encore regarder avec des yeux de rêveurs ces paysages. Actuellement le seul travail que j’ai fait, il y a quelque temps, fut de bêcher un peu mon jardin afin de le préparer pour l’hiver. Je n’avais pas encore, jusqu’à la semaine dernière, touché à mes géraniums, même chose pour les dahlias au sujet desquels je vous ai écrit. Ils devenaient presque un scandale dans la commune. Ils poussaient et poussaient comme « Le haricot magique de Jack », (conte populaire anglais), prodigieusement. Je ne trouve pas d’autre mot pour l’exprimer. Ils mesuraient huit pieds de haut et étaient pleins de fleurs que nous avons coupées pour le Jour des Morts, (en français dans le texte – d’autre part le pied est une unité de mesure anglaise. Un pied correspond à 0,3048006 mètre). Je sais que vous ne le croyez pas, mais c’est vrai. Quelques jours après il y eut une tempête, et quand elle fut finie, malgré les tuteurs que j’avais mis, ils étaient tombés à ras de terre comme si la cavalerie allemande était passée dessus. J’avais le cœur brisé, mais Père haussa simplement les épaules et fit cette remarque : « Si on vit au sommet d’une colline exposée au nord à quoi peut-on s’attendre ? », et je n’avais rien à répondre. Heureusement le vent ne peut pas emporter mon panorama, bien qu’en ce moment je ne le regarde pas beaucoup. Je me contente de jouer dans le sud du jardin, et si je sors c’est pour marcher à travers les vergers, et contempler la vue de l’autre côté de la Vallée du Morin vers le sud. Ma, mais j’ai froid, trop froid pour vous en parler. Mes doigts me font mal quand je tape à la machine. |
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En illustration, vous aurez reconnu Montbarbin (vue de Voulangis), village cité dans le texte.
Alors les survivants des tranchées, les gaz vous ont rendu inertes? 🙁 😉