On the edge of the war zone – chapitre 4
CHAPITRE IV
10 Octobre 1914
Amélie et moi sommes allées à Paris avant-hier pour la première fois depuis la bataille – vous voyez tout se situe « avant » et « après » la bataille, et il en sera ainsi pendant longtemps.
Les trains ont roulé entre Paris et Meaux pendant dix jours, et iront bientôt jusqu’à Chalons où était l’Etat Major la dernière fois que nous en avons entendu parler. N’est-ce pas là du travail assez vite fait ? Et avec trois grands ponts à construire. Mais l’armée avait besoin de la route, et les ingénieurs étaient au travail cinq jours après la bataille. Il y a des trains mais ils sont peu nombreux. Il n’y en a pas encore au niveau de notre embranchement. Aussi avons-nous dû aller à Esbly. Cela a pris deux heures pour atteindre Paris, à peine plus d’environ18 kilomètres. Nous avons roulé au ralenti la plupart du temps, et atteint péniblement à travers le tunnel ce côté de Lagny. Nous étions alors de ce côté de la Marne. Le train faisait entendre des bruits aigus et des sifflements, longtemps avant que nous ne commencions à être brinquebalés le long du pont inachevé, avec des ouvriers accrochés aux derricks et aux échafaudages dans toutes sortes de positions périlleuses et d’attitudes grotesques. Je fus contente quand tout cela fut terminé. |
J’ai trouvé la ville plus normale que quand j’y suis allée il y a six semaines. Si je ne l’avais pas vue pendant ces premiers jours de la mobilisation, elle m’aurait semblé plus triste qu’elle ne l’était en réalité, et, par contraste, sans être le Paris que nous connaissons, c’était tranquille et paisible, aucune excitation dans les rues, pratiquement aucun homme nulle part. Tous les grands magasins étaient ouverts, mais il y avait peu de gens dedans, et très peu qui achetaient. Beaucoup de petites boutiques étaient fermées, et le seront, j’imagine, jusqu’à la fin de la guerre. Toutes les boutiques autrichiennes et allemandes, et elles sont nombreuses, sont fermées pour de bon, et elles forment de larges espaces de volets clos Avenue de l’Opéra, Rue de la Paix, et Rue Scribe, où il y a tant de compagnies maritimes. Cela, le manque d’omnibus et de tramways, ainsi que la rareté des taxis, fait voir le quartier à la fois brillant et actif sous un jour assez inhabituel. Cependant cela lui donne une chance de montrer sa réelle beauté.
Un grand nombre des hôtels les plus en vogue sont convertis en hôpitaux, et partout, spécialement le long des Champs-Elysées, on voit le drapeau de la Croix-Rouge, ainsi que des banderoles blanches indiquant le nom et le numéro d’un hôpital. Le monde des affaires fonctionne avec un personnel réduit, et aucun établissement important ou banque n’est ouvert entre midi et 14 H. Je ne vis personne. Il n’y avait personne à voir. Je fis ce que j’avais à faire, et retourna à la gare où je m’assis à la terrasse du café qui lui faisait face, et, pendant une heure, regarda les soldats entrer par un portail, et le public, en file indienne, présenter ses papiers à un autre. Les véhicules ne peuvent pas pénétrer dans la cour principale. On ne peut avoir avec soi qu’un bagage à main, et les porteurs ne sont pas autorisés à entrer. Aussi doit-on porter soi-même ses affaires dans la grande cour pavée. Cependant il est moins dangereux de le faire qu’en d’autres jours, car il n’y a pas d’avions qui survolent les lieux. Nous restâmes à Paris jusqu’à 18 H. Il faisait déjà sombre, et il y avait quelques lumières le long de la route. Les allemands auraient aimé détruire cette route qui donne directement sur le front, mais je ne peux imaginer, sauf accident, une bombe, lâchée d’un avion, l’atteignant la nuit. A propos, l’attitude du public à l’égard de cette guerre aérienne semble bizarre. Elle semble beaucoup plus empreinte de curiosité que de peur. J’en avais entendu parler, et j’ai eu la chance de le constater sur le terrain. Comme nous trébuchions, Amélie et moi, à la lumière du crépuscule dans la cour aux pavés inégaux, nous entendîmes un avion au-dessus de nos têtes. Tout le monde s’arrêta net et regarda en haut. Un fou s’écria « Une taube – une taube ! », (en français dans le texte). Les gens qui étaient déjà dans la gare sortirent pour voir. Naturellement ce n’était pas une taube. Mais le fait que quelqu’un avait dit que c’en était une, et que tout le monde avait accouru pour la voir était significatif. Je suis sûre qu’ils auraient agi de la même façon si cela avait réellement été un appareil allemand. Nous rentrâmes encore plus lentement que nous étions parties, en sautillant, chancelant, tremblant, et rampant. Cela pris dix minutes à ma montre pour traverser le pont de Chalifer. J’avais le sentiment que si quelqu’un désobéissait aux instructions affichées sur chaque vitre nous basculerions dans le flux. Mais personne ne semblait s’inquiéter. Chacun essayait de lire un journal dans la pénombre avec les rideaux tirés. Il est remarquable de voir comment, même les gens ordinaires, font face au danger si une panique peut être prévenue. La personne qui se distingue vraiment est celle qui, même dans la panique, ne perd pas la tête, et ensuite la meilleure chose pour ce faire est, je crois, d’être littéralement paralysé. L’immobilité totale passe souvent pour du courage. Il était près de 20 H 30 quand nous atteignîmes Esbly ; la ville était absolument sombre. Père était là avec la charrette à âne, et il fallut pas loin d’une demi-heure pour grimper la colline jusqu’à Huiry. Il faisait nuit noire, et Oh ! si froid. Les rues de Condé et de Voisins, ainsi que celles d’Esbly, étaient éclairées – au gaz – avant la guerre, mais celui-ci fut coupé quand la mobilisation commença, et ainsi la route était noire. Ce voyage ordinaire ressemblait à une équipée dans un désert, et j’étais aussi fatiguée que si j’avais été à Londres, ce que je considère comme le déplacement le plus dur, eu égard au temps qu’il prend. Il me faut sept heures pour me rendre à Londres, et ce voyage aller-retour a pris quatre heures et demie par le train, et trois heures par la charrette. J’ai reçu votre lettre datée du 25 Septembre en réponse à la première lettre postée après la bataille. Je suis choquée d’apprendre que j’ai été héroïque. Excusez-moi, ce n’est pas ce que j’ai voulu dire. Je vous prie de m’imaginer le visage très rouge et me sentant un peu idiote. Je ne me serais pas souciée du fait que vous me preniez pour une personne héroïque, et de tous vos autres qualificatifs, si je m’étais déplacée le long des routes avec tout ce que j’avais pu sauver de ma maison sur mon dos, comme j’ai vu des milliers de gens le faire. Mais je ne peux pas accepter vos compliments, considérant que tout ce que j’avais à faire était de me tenir sur mes gardes pendant quelques jours, et d’observer, à une sage distance, l’arrière de la bataille. Tout ce que vous pouvez dire est : « Elle a eu de la chance ». C’est ce que je dis tous les jours. Notre liaison ferroviaire étant de nouveau coupée, je me dépêche de vous envoyer cette lettre, ne sachant pas quand je pourrai vous en envoyer une autre. Mais, comme vous le voyez, je n’ai pas de nouvelles à écrire, juste des mots pour que vous vous souveniez de moi, et pour dire que tout va bien pour moi dans ce monde qui est si dur pour beaucoup. |
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