Influence de l’Histoire sur le développement des moulins de la vallée du Grand-Morin

Dans un précédent article,  nous étions partis à la recherche des moulins disparus de la vallée du Grand-Morin. Aujourd’hui, Patrick Dumoulin aborde un autre aspect de l’histoire de ces moulins …

Ce nouvel article apporte un éclairage sur les acteurs socio-économiques et propose une étude des impacts de l’histoire de France sur le développement des moulins dans la région. Nous verrons l’évolution du nombre de moulins dans le temps et les incidences des événements historiques et des décisions économiques sur ceux-ci et nous chercherons également à mieux connaître les investisseurs.

Jusqu’à la Révolution Française, la société était répartie en trois ordres, la noblesse, le clergé et le tiers-état. Ce dernier est le plus hétérogène car il englobe une population qui va du grand bourgeois à l’artisan, de l’ouvrier au paysan. Les quelques moulins dépendant des ordres religieux militaires, Templiers et Hospitaliers, ont été décomptés avec le clergé.

– L’évolution des moulins dans le temps.

Nous retrouvons dans les archives les traces des premiers moulins à partir du 9^ème siècle. Mais l’essor réel des moulins sur cette rivière commence au 12^ème siècle pour culminer au 13^ème siècle. Le développement du nombre de moulins peut s’expliquer par le fait que la France entre la fin du 12^ème et le 13^ème siècle connaît une période de progrès économiques. Mais c’est aussi parce que le moulin est au cœur de la révolution industrielle du Moyen-Age. L’énergie qu’il produit à permis de libérer l’Homme de certaines tâches. Cette main-d’œuvre a été mise à profit pour défricher de nouvelles terres et pour construire de nouveaux villages, châteaux, églises et moulins. C’est sous les Capétiens (987-1328) que l’on constate le développement le plus important. Puis le nombre d’implantations chute brutalement au 14^ème et au 15^ème siècle. Cette période correspond à une période très troublée de l’Histoire de France ; la Guerrede Cent Ans (1337-1453). L’insécurité provoquée par les bandes armées errantes dans le royaume de France et l’isolement des moulins construits hors la ville explique probablement ce déclin du nombre de moulins. La paix revenue, la construction de nouveaux moulins sur le Grand-Morin reprend. Cette seconde étape se poursuit sous les Valois (1328-1589). Par la suite, on continuera d’aménager de nouveaux moulins mais le rythme est beaucoup plus lent. Quelques-uns disparaîtront même.

Au 17^ème siècle, on remarque aussi une diminution du nombre de nouveaux moulins. Ce fait est peut-être à mettre en relation avec la guerre de Trente ans (1618-1648) et la Fronde (1648-1652). Les effectifs de l’armée française sont alors très faibles. Pour passer d’une armée de 20 000 à 300 000 hommes, les impôts sont triplés entre 1630 et 1648 pour augmenter encore de 50 pour cent à la fin du siècle. On peut penser que l’augmentation considérable des impôts freina les investissements.La Guerre de Trente ans et la Fronde furent très éprouvantes pour les habitants de la région. Paradoxalement les Guerres de Religion (1562-1598), bien que très violentes en Brie, n’eurent, à priori, que peu d’effet sur l’implantation de nouveaux moulins.

– Qui étaient les investisseurs ?

Nous venons de voir que les différents conflits ont eu des impacts économiques forts mais qu’en est-il des aménageurs ou des investisseurs pour faire la distinction avec l’exploitant. Souvent l’exploitation du moulin est cédée contre une rente annuelle.
On s’aperçoit que ce sont les classes qui bénéficient de privilèges, religieux et noblesse, qui ont un quasi-monopole. Malgré cela, quelques particuliers arrivent à installer des moulins sur la rivière mais avec beaucoup de difficultés. Il n’est pas rare que des procès soient intentés contre eux. Quelques fois, ils arrivent à faire valoir leurs droits. Les 12 et 13^ème siècles voient l’extension des institutions religieuses. Des communautés religieuses se créent ou se développent. Et c’est aussi la période des Croisades. De nombreuses donations sont faites aux monastères ou abbayes par la noblesse partant ou non pour ces pèlerinages armés. Le moulin du Saule (commune de Couilly) est donné aux religieuses de l’abbaye de Pont-aux-Dames par Hugues de Châtillon et Marie sa femme vers 1237 en guise d’indemnisation.

Il faut attendre le 19^ème siècle pour que le nombre de moulins mis en place par des investisseurs privés augment significativement et la disparition totale du clergé et de la noblesse. Pour comprendre ce phénomène, il faut revenir à un événement qui se produira à la fin du 18^ème siècle ;
Les moulins de la vallée du Grand-Morin, bien malgré eux, sont des témoins particuliers de l’Histoire de France et de l’évolution de la société. Ils nous permettent de mesurer l’impact d’événements dramatiques ou économiques sur la vie d’une région.

Patrick Dumoulin