L’anonymat des blogueurs
Un projet de loi commence à faire couler beaucoup d’encre sur internet ces jours-ci. Il s’agit de la proposition de loi du sénateur Jean-Louis Masson visant à obliger les blogueurs à dévoiler leur identité. Entendons-nous bien, il ne s’agit pas de l’anonymat sur les blogs collectifs (comme le nôtre) ni de celui des commentateurs, mais de l’identité de celui qui gère le blog. Pour nous qui sommes des habitués de cet exercice depuis des années, il ne fait qu’un pas de l’appliquer à notre cas, mais ce n’est pas dans le projet de loi, l’auteur n’ayant à mon avis pas eu connaissance de l’existence de blogs collectifs. Et c’est vrai que quand on lit l’exposé des motifs, cela fait sourire.
Personnellement je suis d’accord avec l’unique article du projet de loi, mais il faut avouer qu’il y a une certaine méconnaissance du terrain dans l’exposé des motifs, une ignorance que l’on eut l’occasion de dénoncer l’an dernier avec la célèbre loi Hadopi. En fait on se demande pourquoi cette loi n’est pas parue plus tôt … |
Analysons en détail les motifs :
Le concept de "non professionnels" est déjà curieux. Il est fait référence à l’explosion des blogs selon un rapport de 2008. Le phénomène des blogs est en train de se tasser, et il y a longtemps qu’il aurait été plus opportun de légiférer.
Les références aux diffamations ne sont pas pertinentes non plus. Le tenancier d’un blog est juridiquement responsable de tous les écrits de son blog, y compris les commentaires des "invités", et même s’il est anonyme, il est connu de son hébergeur et parfaitement identifiable si nécessaire. L’argument ne tient donc pas. L’exercice du droit de réponse, évoqué dans les motifs du texte de loi, est possible sur tous les blogs, c’est même ce qui fait la spécificité et la raison d’être de ce type d’outil, cela s’appelle un commentaire et c’est ouvert à tous !
Autrement dit toutes les bonnes raisons évoquées sont soit dépassées soit à côté de la plaque.
Mais je crois que c’est pour autant une bonne loi, bien qu’elle ne fasse pas l’unanimité.
L’opposition s’organise même, j’ai mis en fin d’article un mail reçu de wikio.fr , référence en la matière ainsi qu’un article de Agoravox, autre référence connue et reconnue.
Voyons les arguments des opposants :
– une loi inutile. On en a parlé plus haut dans l’analyse des motifs, elle n’apporte rien en terme de lutte contre les diffamations.
– une restriction de la liberté d’expression, les gens se sentant plus libres dans l’anonymat.
Maintenant, quelques bonnes raisons de soutenir la loi :
– une loi inutile, certes, ce ne serait pas la première. On ne va pas refaire le débat sur l’Hadopi …
– l’argument sur la liberté perdue parait recevable. Pourtant il ne tiens pas, selon moi.
Si nous étions dans un pays totalitaire où le délit d’opinion serait chose commune, il serait en effet essentiel de pouvoir s’exprimer sous le couvert de l’anonymat. Le combat pour un peu plus de liberté serait un combat juste.
A l’inverse, je crois que la liberté d’expression peut y gagner en permettant à tout un chacun de dire ce qu’il pense à visage découvert. Etre fier de ses opinions, sans se cacher, dans un débat ouvert c’est faire progresser la démocratie, dans un esprit de responsabilité.
Certes les opposants ont raison quand ils affirment qu’un blogueur prend des risques en s’exposant personnellement. C’est vrai quand il dénonce des faits délictueux, et à ce titre il mériterait une protection. Autre cas plus fréquent, les critiques vis-à-vis de la gestion de son entreprise qui entrainent souvent le licenciement du blogueur. La solution à ce problème n’est pas de conforter l’anonymat mais d’introduire plus de démocratie dans les entreprises, afin que la critique, y compris publique, soit plus facilement admise.
Un bémol toute fois, c’est le côté un peu dépassé de cette loi dans le contexte actuel. L’actualité c’est maintenant, au contraire, la préservation de la vie privée. S’il existe encore des blogueurs qui restent dans l’anonymat, sur les réseaux sociaux, facebook par exemple, les gens, qui plus est mineurs, dévoilent bien plus que leur identité. N’est-ce pas plutôt à ce sujet que le législateur devrait s’intéresser ? Le débat sur l’anonymat, cela fait au moins 5 ans qu’on l’aborde sur le site. Est-ce nous qui étions en avance ou le législateur qui est en retard ? Pour revenir au projet de loi, et aller plus loin dans la transparence, à l’image des blogs sérieux, plus que l’identification du blogueur, c’est d’une charte de déontologie dont chaque blog devrait se munir. On parle dans l’exposé des motifs de bonnes pratiques, et c’est tout à fait le sens vers lequel il faut aller. |
Le projet de loi (http://www.senat.fr/leg/ppl09-423.html )
PROPOSITION DE LOI tendant à l’identification des éditeurs de sites de communication en ligne et en particulier des « blogueurs » professionnels et non professionnels, PRÉSENTÉE
Par M. Jean Louis MASSON,
Sénateur
(Envoyée à la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, sous réserve de la constitution éventuelle d’une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.) EXPOSÉ DES MOTIFS Mesdames, Messieurs, L’explosion du nombre de « blogs » et de sites internet édités par des non professionnels anonymes témoigne d’une mutation profonde de la communication en ligne : à travers cette évolution globalement très positive, un certain nombre de dérives se sont néanmoins manifestées. À la lumière de l’expérience des dernières années, il parait opportun de procéder à quelques ajustements juridiques. En particulier, il convient de mieux protéger les éventuelles victimes de propos inexacts, mensongers ou diffamations qui sont, hélas, de plus en plus souvent colportés sur la toile.
Pour l’essentiel, le blogueur, et plus généralement l’éditeur non professionnel d’un site, est responsable pénalement et civilement des propos qu’il tient sur son blog mais aussi de l’ensemble des éléments qu’il édite. Toutefois, son identification est beaucoup plus difficile que lorsqu’il s’agit de la diffusion de documents par voie de presse écrite. Qui plus est, pour les modalités de cette identification, le droit en vigueur n’impose pas les mêmes obligations aux blogueurs professionnels et aux blogueurs non professionnels.
En effet, l’article 6-III de la loi du 21 juin 2004 impose aux personnes dont l’activité est d’éditer un service de communication au public en ligne de mettre à disposition du public des éléments précis permettant de les identifier, à savoir, principalement :
– leurs nom, prénoms, domicile et numéro de téléphone s’il s’agit de personnes physiques ;
– leur dénomination ou leur raison sociale et leur siège social, leur numéro de téléphone s’il s’agit de personnes morales ;
– le nom du directeur ou du codirecteur de la publication et, le cas échéant, celui du responsable de la rédaction ;
– enfin le nom, la dénomination ou la raison sociale et l’adresse et le numéro de téléphone de l’hébergeur du blog.
En revanche, le même article permet aujourd’hui aux blogueurs non professionnels de préserver leur anonymat en se limitant à tenir à la disposition du public les éléments d’identification de l’hébergeur du blog à qui ils doivent, bien entendu, transmettre leurs coordonnées personnelles. Par ailleurs, chacun s’accorde à considérer qu’un particulier qui édite un blog est à la fois éditeur et directeur de la publication.
Cependant, la distinction entre le non professionnel et le professionnel est malaisée car une personne peut être considérée comme professionnelle ou pas selon la nature du sujet sur lequel elle s’exprime. En outre, compte tenu de la multiplication des sites et des propos litigieux qu’ils peuvent contenir, il apparait de plus en plus nécessaire de faciliter l’exercice concret du droit de réponse des personnes nommément mises en cause par des auteurs anonymes.
Dans cet esprit, au titre des « bonnes pratiques », la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) conseille à tout « blogueur » de prendre toutes les mesures permettant l’exercice du droit de réponse, ce qui se ramène, en pratique, à mettre à la disposition des lecteurs du blog une adresse électronique permettant de contacter la personne responsable du site.
Face aux nouveaux défis d’internet, ces recommandations de bon sens méritent aujourd’hui d’être prolongées en étendant aux éditeurs non professionnels de sites internet, et en particulier aux « blogueurs », les obligations d’identification requises des professionnels. L’article unique de la présente proposition met en oeuvre cette idée en prévoyant, par mesure de simplification, d’assimiler l’éditeur non professionnel au directeur de la publication.
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Les arguments des opposants, et tout d’abord le courrier reçu de wikio.fr :
Bonjour, Nous tenons à affirmer notre attachement à la liberté d’expression sur Internet, qui a permis à tout un chacun de participer au formidable développement de l’information et des débats sur le réseau. Pour soutenir cet appel, laissez un commentaire signé de votre nom ou de votre pseudo à la suite du texte disponible ici, et indiquer l’adresse de votre blog si vous êtes blogueur. Pierre Chappaz Autre article sur le sujet : |
(article vu 5 fois)
Il est certain, concernant internet en général, qu’il y aurait à légiférer pour encadrer certaines pratiques, et pas seulement au sujet des questions évoquées dans votre article. J’en ai fait personnellement l’expérience, expérience qui concerne également l’association et le site des Brionautes d’ailleurs. Ah ce n’est pas trop grave, et je ne vais pas prendre un avocat pour ça. Je pense que je vais quand même contacter la Commission Informatique et Libertés pour voir ce qu’ils peuvent faire, en précisant bien qu’il n’est pas question naturellement que l’affaire passe devant la Justice. Un internaute du site geneanet, (généalogie), a eu la bonne idée de recueillir des témoignages de personnes ayant côtoyé Balzac. Il a parlé de mon ancêtre, Nicolas Alexandre Pigoreau, qui, en sa qualité de libraire-éditeur, l’avait pour client, excellente idée. Seulement ce que je n’ai pas du tout apprécié c’est qu’il fasse un copier-coller d’un article signé de mon nom paru dans le site des Brionautes, remplaçant simplement « Mon ancêtre », par « Alexandre Pigoreau ». (Alors qu’en réalité son premier prénom était Nicolas). Mais là n’est pas le principal problème). Je lui ai envoyé trois mails pour qu’il change les deux premiers mots de son article, et qu’il le fasse suivre de la mention : « Extrait d’un article de Florence Pigoreau paru le 7 Mars 2006 dans le site http://www.brionautes.com« . Je n’ai jamais eu aucune réponse. J’ai voulu contacter geneanet, impossible. Il y a bien : « nous contacter » quelque part, mais j’ai beau cliquer je n’arrive pas à activer. Seuls peuvent être envoyés des mails dans le cadre du partenariat. Pour ceux qui ont des doléances légitimes, circulez on en a rien cirer. C’est à l’encontre de pratiques aussi antidémocratiques qu’il faudrait légiférer.
Votre exemple justifie une moralisation de certaines pratiques. Disposer comme demandé dans le projet de loi des informations permettant de contacter de manière fiable l’auteur du site trouve là tout son intérêt.
on y lit même, je cite : « Merci de bien noter qu’il n’est pas possible de contacter GeneaNet par e-mail, tout e-mail reçu ne serait pas lu. Par ailleurs, il ne sera pas répondu aux courriers postaux, sauf cas exceptionnels (litiges, perte de tous identifiants/mots de passe/e-mail, abonnements au Club Privilège, commandes dans la Boutique). »
Une mention qui deviendra illégale et c’est tant mieux ! alors que ce site semble se présenter comme professionnel.
Sachant que la première erreur de ce site fut de copier votre article, sans demander l’autorisation et sans citer ses sources. C’est un non-respect manifeste du droit d’auteur.
Au premier abord, cette proposition de loi ne me choque pas vraiment, contrairement à l’ Hadopi.
L’anonymat (nous parlons des « propriétaires » de blog) facilite la pratique du blog certes, mais comme toute liberté, cette pratique trouve ses limites dans l’abus qui en est fait par certains. (ok, c’est pragmatique et pas très libertaire comme approche).
Je ne perçois pas la proposition de loi comme une limite du droit d’expression, une attaque liberticide.
Qu’est-ce que le droit d’expression ?
C’est bien entendu le droit de pouvoir s’exprimer et donc de dire ou écrire ce que l’on pense mais avec l’obligation – au moins morale- d’en assumer les conséquences.
L’anonymat sur le net quand il est utilisé pour une cause malhonnête me fait penser à la cagoule de ceux qui viennent faire leurs courses gratuitement dans les commerces de Crécy.
Je peux comprendre que face à certains pouvoirs (politique ou économique), l’anonymat autorise l’émergence d’une expression qui sans cela n’existerait pas et peut de ce fait constituer l’amorce d’une expression collective … mais bon, même si le système économique reproduit une nouvelle forme de féodalité (nouveaux riches, nouveaux seigneurs), nous ne sommes pas non plus sous un régime de dictature politique .
Je ne vois pas dans le courrier reçu de Wikio d’éléments capables de me faire penser autrement pour le moment, mais bon, je reste ouvert à tout autre argument …
José Navarre
« (ok, c’est pragmatique et pas très libertaire comme approche). »
C’est dit comme à regret, comme une chose qu’on veut bien concéder. Mais, Cher José, si c’est pragmatique et que ce n’est pas libertaire, c’est à dire que ça ne procède pas d’une vision faussée de la liberté, alors on est dans l’excellence 😉
Et il signe ! bien !
On dit en gros la même chose.
Les raisons de résistance à cette loi sont les conséquence de la loi précédente, l’Hadopi. Une loi qui s’est faite sans les internautes, qui a été perçue comme un attaque en règle contre les internautes, par méconnaissance du sujet. Le pouvoir politique s’est mis internet à dos à cause de tant de maladresses dans la gestion de ce dossier, et cela risque de durer. Toute nouvelle loi est jugée avec méfiance et est rejetée.
A verser au dossier, cette réflexion sur le numérique. Le monde politique cherche à se réconcilier avec Internet : http://www.zdnet.fr/actualites/l-ump-presente-sa-vision-de-l-ethique-du-numerique-39752078.htm#xtor=EPR-100