De l’origine du nom Crécy : 2 – la suite
Je vous invite à reprendre notre voyage dans le temps à la recherche de l’origine du nom de Crécy. Souvenez-vous, à l’issue du premier article nous étions parvenus à la fin de l’époque mérovingienne, "orphelins" de Frégédaire. Du coup, notre Crécy se retrouve sans nom « avéré » avant l’an mil. En effet, il nous faut faire un bond dans le temps pour trouver la première référence écrite à une forme ancienne du nom « Crécy ». Cette première référence remonterait à la fin du XI ème siècle. Toutes les sources consultées concordent sur ce point.
Pour autant, ce constat – l’absence de traces écrites – n’interdit pas de penser que le Crécy de la fin du premier millénaire s’appelait bien Criscecus ou quelque chose d’approchant. Une autre piste, partant de pièces mérovingiennes qui auraient été retrouvées et frappées dans la région, fait état d’un domaine appelé Credeciaco. Difficile de mettre en évidence un lien logique entre ces informations. A côté de ces pistes, traditionnellement reprises par nos érudits, existent d’autres hypothèses que nous allons envisager dans la suite. |
L’avis éclairé des érudits
Sabine Gervais, dans son ouvrage co-publié avec René Blaise "Crécy-en-Brie et la Vallée du Grand Morin", nous fournit une vision "évolutionniste" du toponyme créçois qui peut aisément faire l’objet d’un consensus : " Il y avait vraisemblablement à l’époque gallo-romaine un domaine (Craeciacum) à l’emplacement de l’actuel St Martin". Elle cite ensuite H Strein qui énumère dans son dictionnaire topographique de Seine-et-Marne quelques formes anciennes du nom de Crécy : « Creciacus, Criciacum (XI éme) ; Crisceium (XII émé) ; Crecium, Creciacum, Creci, Crecsci, Crecy (XIIème) ; castellum de Creciaco versus capellam (XIIème), Castrum Creceii in Bria (XIV éme), Crecyacum (XVème) Cressy (XVIIIème, Crécy (an IX) ». Cette liste est particulièrement intéressante. Elle démontre en effet que la toponymie n’est jamais figée. En revanche, je ne suis pas convaincu que tous les termes de cette liste concerne notre Crécy. Il se pourrait que certains d’entre eux fassent référence à des formes attribuées à d’autres Crécy et qu’elles ne concernent pas toutes notre Crécy. |
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Il faut bien avoir conscience que non seulement les toponymes ont évolué dans le temps, mais que les façons de les orthographier ont, elles-aussi, subi certains aléas. Ainsi il est tout à fait envisageable qu’un Crécy et un Cressy d’aujourd’hui aient porté le même nom à une époque du passé et que des villes qui portaient des noms différents (mais voisins quand même !) s’appellent toutes deux Crécy aujourd’hui. Il ne faut pas chercher d’explication universelle et unique, chaque Crécy a son histoire, et tous les Crécy n’ont pas la même histoire.
C’est pourquoi, j’ai du mal à admettre que tous les Crécy et Cressy de France soient les héritiers d’un frisé, aussi beau fût-il. C’est pourtant ce que suggère l’éblouissante et "évidente" explication fournie par René LESAGE (Origine de Crécquy – Pas de Calais): « Au IVe siècle, les structures agraires se reconstituent. L’habitat se concentre. La vie rurale s’organise au sein de grands domaines qui ont donné le nom aux villages actuels. C’est le cas de la plupart des villages en -y ou en -ecques de notre Haut Pays qui viennent d’anciens noms de domaine en -acum. Créquy peut donc être un antique Crixiacum qui a été particulièrement productif dans la toponymie française et qui abouti aux divers Crécy, Cressy, Crécques, Cressey, Cressat, suivant les régions. Que signifie ce toponyme? Tout simplement le domaine de "Crixos", Crixos étant un nom de personnage d’origine gauloise signifiant le "Frisé".»
Nous avons beaucoup parlé d’un possible Criscecus, mais en l’absence de traces écrites authentifiant une telle appellation, on ne peut plus être sûr et certain que Crécy se soit appelé ainsi. C’est bien pourquoi d’autres pistes méritent d’être exploitées. Celle que nous allons aborder maintenant, est inattendue, n’est pas la plus improbable. La "colline noire" Vraiment, Internet est un puits de savoir et de découvertes. J’ai ainsi pointé du curseur une explication qui s’appuie sur une savante analyse à base de langue bretonne. Source : http://www.argentomagus.com/ |
Le fer
Paul BAILLY dans son ouvrage « Toponymie en Seine et Marne – Noms de Lieux – Editions AMATTEIS", ecrit ainsi en abordant le cas de notre ville : « Crécy-en-Brie, dérivé de Criscecus : le frisé. Il est à noter que Crécy désignait aussi le résidu de la fabrication du fer et il y a vait des forges au-dessus de la ville de Crécy ».
La référence au frisé reprend l’hypothèse «classiquement admise » comme origine du nom de Crécy. Toutefois, l’auteur émet un doute, ouvre une porte, en attirant notre attention sur une signification ancienne du vocable « crécy » qui désignait le résidu d’exploitation ou de fabrication du fer. J’ai cherché à de nombreuses reprises des références complémentaires qui m’auraient permis d’étayer le début d’explication fourni par Paul Bailly, bien enigmatique. Le lien entre certains sites nommés Crécy et l’exploitation des materiaux ferreux est probable, voire démontré. Il existait par exemple une commune de la Nièvre qui s’appelait « Crécy les Forges ». J’utilise le passé, car cette ancienne commune n’est plus qu’un lieu dit aujourd’hui. Il existait à cet endroit une forge, mais son origine n’est pas très ancienne, quelques siècles au plus, et pas assez pour être issu d’un vocable gaulois, latin, ou roman. |
Les érudits ont relevé l’existence de multiples sites d’exploitation du fer dans notre région. La toponymie le confirme, car les noms de plusieurs lieux-dits sont révélateurs : il existe une Ferrière à Voulangis, une autre à Villiers et quelques toponymes autour de Crécy sentent bon le minerai : Ferroles, les Rougets (terres rouges), par exemple.
Nos prédécesseurs extrayaient du minerai de fer de la terre pour le tranformer en métal, puis le travailer ; des vestiges de fours et de forges ont été retrouvées. Ne perdant pas de vue que le crécy antique était situé plus ou prou à l’emplacement de Saint-Martin, j’ai orienté quelques-unes de mes promenades dans ce secteur. Je peux affirmer qu’il n’est pas utile de trop chercher pour trouver des témoignages d’une telle activité à la surface des labours, et à proximité de Saint Martin. La photo ci-contre présente ce que j’identifie comme des scories de fer, c’est à dire de très probables déchets de ("hauts") fourneaux utilisés pour la production du métal. Ces "pépites" ferreuses ont été ramassées à Saint-Martin, par votre serviteur. |
Pour terminer cet exposé, j’ai envie d’avancer une dernière hypothèse, toute personnelle. Elle est bien incertaine et fort mal étayée de ma part, car mes connaissances en matière de lunguistiques celtique et latine sont très limitées (elles dépendent entièrement des outils de traduction en ligne sur le net).
La courbe Les deux lettres "cr" m’intriguent depuis longtemps. Je me demande si elles ne constituent pas une espèce de préfixe utilisé dans les langues celtiques notamment pour désigner des objets présentant des formes courbes, incurvées. C’est là que nous rejoignons notre sujet. En effet, visualisons les formes associées à quelques-uns des termes que nous avons rencontré dans cet article : "crom" ou "Krom" (courbe), "crech" ou "Krech" (la colline), "crixos" (le frisé). Tous font bien référence à des formes arrondies, des courbes, des boucles comme celles du frisé. J’aimerais ajouter à cette liste le croissant (celui de Crécy) que le latin le fait dériver du verbe "crescere", c’est à dire "croître" (référence au cycle lunaire qui voit croître le quartier de lune) mais qui s’écrit "Kresk" en breton. Partant de ce constat et convaincu que la toponymie s’inspire d’abord des caractéristiques physiques des sites, je vous invite à observer les trois photos aériennes présentées ci-dessous : Alors, voila il me plait d’imaginer que tous ces "CRrrrr" pourraient avoir un lien avec la topographie et que la boucle du Crixos n’est peut-être pas en lien direct avec une tignasse, mais tout simplement avec la forme du Grand Morin à cet endroit qui dessine une boucle spectaculaire. Mon hypothèse, repose sur des observations, de l’intuition, mon imagination, et un zest de fantaisie. Les linguistes l’a qualifieront peut-être d’hérétique et non viable, mais enfin, elle me plait, c’est la mienne.
Epilogue Cette analyse destabilise donc nos croyances. Le Crécy cité dans la chronique de Frégédaire ne correspond pas à notre Crécy. Le Criscecus du manuscrit mérovingien, n’est pas le nôtre. Crécy s’est-il jamais appelé "Criscecus" ?
Les pièces mérovingiennes qui auraient été retrouvées sur notre territoire nous orientent vers un Credaciaco dont la signification reste indéterminée. Que la genèse du nom ne nous ramène pas à coup sûr vers un criscecus, nous autorise à chercher d’autres explications. Une ethymologie basée sur le breton suggère un lien avec une "colline sombre", hypothèse que je qualifie d’anecdotique. Il apparait aussi que le nom commun crécy est un terme ancien qui désignait des résidus ferreux de la métallurgie du fer. Cette piste est sérieuse dans la mesure où la toponymie des alentours fait largement référence au fer. Il fort est probable qu’une activité de ce type ait été pratiquée à proximité de Saint Martin. Quant à mon hypothèse qui voit dans le nom de crécy un rappel de la forme de la rivière je n’ai pas les moyens de l’étayer plus, pour le moment. Alors voila, comme vous vous en doutiez peut-être, il est bien difficile de choisir une explication au sein des différentes propositions qui pour la plupart sont plausibles et cohérentes. Une chose me parait à peu près certaine, c’est qu’il ne faut pas chercher l’explication unique et universelle, valable pour tous les Crécy et autres Cressy. Ce petit travail de recherche m’a bien amusé. J’espère que cette restitution est à peu près claire, car comme vous l’avez constaté, les hypothèses nous conduisent dans des directions très différentes. Il n’a pas été évident de trouver un plan pertinent. J’espère que cette petite récréation vous aidera à passer un bon week-end. Et surtout garder l’oeil ouvert à l’occasion de vos promenades, admirez les paysages mais de temps en temps, regardez vos pieds ! josé navarre |
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J’en reste KOI…. :# :=!
quel grand art :-e)
et au niveau des fouilles archéologiques subaquatiques ,ni à t il pas de découverte pouvant vous aider mon cher JNA :-d)
Pas que je sache, mais je suis un archeologue plongeur de près. Nous causons souvent dans le train.
Je vais aller les voir au travail un de ces samedis.
En revanche, concernant mon précédent travail sur les croissants, j’ai à peu près rallié à ma cause le dit plongeur quide son côtéest à l’affut d’indices pouvant accréditer mon hypothèse.
En dehors de la plongée, il travaille aussi sur les portes à bateaux, les vieux moulins, notammment sur ceux de Villiers.
Bravo José pour ce très beau travail :=!
Je suis sceptique sur cette histoire de minerai.
Tout le versant est un champ travaillé depuis des lustres, est-ce vraiment possible d’y retrouver du minerai de fer d’origine ?
Cher jna …..
L’aspect photo est criant de vérité …..cette courbe rappellant le crescent de lune, ou le croissant …. il y a toujours de la magie dans les lieux !
Je possède par ailleurs, un copie d’un manuscrit de P Bailly, jamais publié …. qui va dans le sens que l’alphabet est né dans la nature.
Je reviendrai vers vous …. dés que j’aurai fai tle classement …et que j’aurai retrouvé mon glossaire franco-gaulois ….à peu prés 200 mots.
La courbe que constitue la rivière à chaque fois ….. est troublante.
Il faut pas trop l’encourager dans ses élucubrations.
Son histoire du croissant originel, il nous l’a déja sortie avec le blason, les 3 C comme la boucle du Morin. C’est un peu gros, car partout où il y a une rivière, il y a des boucles et il y a une ville construite dans une boucle. Si on suit le raisonnement de jna, toutes les communes situées dans un méandre devraient s’appeler Crécy ou un nom ressemblant. Et pour étailler ses théories il va chercher la complicité tacite de lomig en citant les gaulois, un peu fumeux tout ça !
ah oui, mon gars, mais il ne s’agit pas des mêmes courbes.
Quant à ta remarque au sujet des boucles, elle prouve que tu n’as pas lu mon excellent texte, avant d’écrire cette vile calomnie ! 😎
Mais tu me fais pensé, que j’ai complètement oublié la chute à laquelle j’avais pensé un moment :
et si Crécy pouvait se traduire par : « le lieu situé au centre de la boucle de la rivière qui entourre la colline noire où le frisé a trouvé du fer »
et ben là, t’es eu ! 🙂
Bien sûr que j’ai lu ton article excellent, celui d’aujourd’hui et celui d’il y a 2 ou 3 ans sur les 3C.
Dans le cas des 3C tu fais référence aux formes des brassets, et ici en l’occurence il s’agit de la boucle du grand-morin au niveau de saint-martin, berceau oublié de Crécy. Mais dans tous les cas, tout ça c’est du au fait que les rivières font des boucles dès qu’il y a un petit obstacle. Et si chaque obstacle devait s’apeller Crécy, il y en aurait des crécy …
O gast, ma Doue !!!
le « y » gallo-romain remplace le ac gaulois qui veut dire le lieu !
crisiac, crisiacum ….
Crec crec’h …… passe moi le celte 🙂