à côté de toi …
Me mettre simplement à côté de toi (par Argil)
Le monde ne se vit pas, il se traverse… par en dedans.
Le monde ne se regarde pas, il se voit… à travers. Le monde ne s’écoute pas, il s’entend… dans le silence. La parole ne se dit pas, elle chante et elle danse pour l’autre. J’ai vu des montagnes infranchissables qui ont été franchies. J’ai vu des chemins sans issue qui ne menaient qu’à soi-même. J’ai vu des solitudes sans « Petit Prince » à rencontrer, des déserts qui ne cachaient aucun puits, des champs de blé à l’infini sans renard à apprivoiser. J’ai vu des mots défiler sur des pages ou des écrans comme des bouteilles jetées à la mer, des mots qui recherchaient le pouvoir, la reconnaissance ou même simplement l’action. J’ai vu des hommes se battre en confondant leurs paroles avec le bruit que faisaient leurs armures entrechoquées entre elles. J’ai vu des hommes murés dans leur vérité reprochant aux autres leur propre histoire, leur propre ressenti, leur propre langage, leur propre existence différente de la leur. J’ai vu des prêtres vivant l’exact contraire de ce qu’ils prêchaient sans que cela ne leur pose de problème de conscience On ne se révolte pas contre les faux dieux : on les quitte. J’ai vu des philosophes philosopher sur la vie par crainte de l’éprouver jusque dans son absurdité et sa misère. J’ai vu des Hommes enfermés dans leur tête, j’ai vu des Hommes enfermés dans leur cur, j’ai vu des Hommes enfermés dans leur corps J’en ai entendu me dire comment il me fallait agir, comment il me fallait parler, comment il me fallait penser comment il me fallait aimer. J’ai entendu des sourds me juger, j’ai vu des aveugles m’affirmer que les couleurs n’existaient pas, j’ai vu des borgnes nier le relief des autres J’ai vu des Hommes ayant tellement peur d’aimer Il faudrait toujours aborder l’autre comme on aborde un étranger langagier, quelqu’un qui ne parle pas la même langue que nous. Il n’y a rien de plus piégé que les verbes pauvres : aimer, parler, prendre, donner, être, avoir, croire
Derrière chaque mot se cache une histoire unique, la mienne, la tienne. On croit souvent qu’on se comprend parce qu’on a le même langage, le même vocabulaire qui dit notre appartenance à tel ou tel groupe social. On se rassure en se parlant à demi-mot : « Tu vois ce que je veux dire !… » Il faudrait toujours avoir le courage de répondre : « Non, je ne vois pas ce que tu veux dire. » |
Ce qu’on cherche véritablement quand on parle, ce n’est pas d’être compris, ni même entendu
c’est d’être traduit, ce que la psychanalyse appelle « faire des liens ».
Derrière le mot « amour », derrière le mot « Dieu », derrière les mots « vivre », « liberté », « paix », «solitude », « foi », il y a autant de réalités et d’histoires que d’hommes sur la terre. On parle avec d’autres parce qu’on croit que l’on va pouvoir se rejoindre sur le plus petit dénominateur commun d’un mot. Quelquefois, ça marche. On se rejoint un temps mais dans le fond de nous-mêmes, on le sent bien, on reste seul. Je ne parle pas pour qu’on se rejoigne toi et moi sur un terrain commun fait d’idées ou de compromissions communes, je te parle pour que tu me rejoignes au plus près de mon histoire et de ma chair. Je ne t’écoute pas pour me comparer à toi, mais pour te rejoindre là où, justement, ton histoire n’est plus mon histoire et me mettre simplement à côté de toi à côté de toi, en silence. « Ce qu’il y a de plus profond dans l’Homme, c’est sa peau » écrivait Paul Valery. |
Lorsque, parce que je suis perdu, je te demande de m’aider à retrouver ma route, je ne te demande en fait que de traduire ce que je vais te dire. Et tu ne pourras me traduire que si tu m’aimes, c’est-à-dire si tu es suffisamment décentré de toi pour pouvoir me croire derrière mes mots déficients et maladroits.
Mais, si tu commences à me dire que je ne devrais pas ressentir ce que je ressens ou que je devrais ressentir les choses autrement, tu cherches à posséder mon passé. Si tu cherches à faire quelque chose pour résoudre mon problème tu cherches à posséder mon présent. Si tu commences à me donner des conseils, tu cherches à posséder mon avenir. Dans tous les cas tu ne fais que t’écouter toi-même et tu ne m’aides en rien, au contraire, tu me perds encore plus et tu te perds toi-même en même temps. M’écouter vraiment c’est me croire vraiment, même lorsque je mens. Si tu m’écoutes ainsi je sais que je mens au moment même où je mens, et alors je peux reconnaître mes mensonges qui m’ont perdu et corriger ma route par moi-même. Mais si tu m’écoutes vraiment, sans te comparer, sans essayer de me mettre dans tes cases à toi, sans me juger, sans essayer d’arranger ma situation mais, non seulement en acceptant, mais en te réjouissant que mon réel, mes croyances, mes idées, mon intelligence de la vie et ma sensibilité soient différents des tiens, alors tu commences à me voir comme une personne unique et ainsi tu peux m’aider vraiment parce que, ce que je cherche le plus, en fait, c’est un ami. C’est ainsi, et seulement ainsi, que je peux retrouver le sens de ma vie et que toi aussi tu peux, parce que tu t’es laissé apprivoiser par mon mystère, déployer le sens de la tienne. C’est ici que se trouve la limite de l’écriture. On ne peut ni croire ni même aimer en vérité une plume ! Il lui manquera toujours mes yeux dans tes yeux, le ton de nos voix, les silences entre les mots, le temps qui passe et qui diffuse autour de lui comme la présence secrète d’une Frontière à rejoindre par le dedans des choses : on est tous nostalgiques de l’infini… parce qu’on en vient. Refermer tous les livres, Abandonner tous les savoirs, toutes les références, toutes les images, toutes les représentations, Et disparaître… dans l’Esprit. Argil |
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J’en reste bouche bée…………… Savoir trouver les mots, s’exprimer n’est pas chose facile. C’est ma façon de voir, ne jamais regarder ce que l’on a devant soit, mais voir ce qu’il y a derrière………Bravo à JNA et Argil
C’est Argil qu’il faut féliciter !
oui parce que jna il a rien fait d’autre qu’aller se faire trucider sur Agoravox.
C’était courageux de sa part, maintenant il est connu, il a eu son baptème du feu.
Agoravox est un site qui a le mérite d’exister, un media libre, totalement indépendant contrairement aux medias classiques. Les articles sont de qualité, un peu long à mon gout. On y trouve beaucoup de commentaires de qualité mais aussi de l’intolérance et de la bétise, comme dans la vraie vie, en somme.
Oui certe mais JNA a eu le courage de le publier et de faire une introduction et une conclusion…
Dans nos montagnes, nous aspirons tous à respirer.
Toute la journée nous courons de ville en ville, de mots en mots.
Auprès de nos montagnes ou de nos rivières ou lacs, nous pouvons, dans le « silence » de la nature, revivre tous ces mots et toutes ces courses.
« on ne peut ni croire ni aimer en vérité une plume » : Argil, je me permettrais juste de dire qu’une plume, telle celle que j’ai actuellement dans mes doigts, elle m’aide à écrire encore et encore plus, et ainsi à aimer.
Bon jour Ottopil,
Il pleut aujourd’hui sur notre Vallée Verte ! Toute la belle neige qui recouvrait les arbres et les paysages se transforment en bouillasse… C’est pas beau !
Heureusement, la limite pluie/neige est à 1000 m, ce qui fait que les stations des ski reçoivent de la neige en abondance.
Lorsque je parlais de « plume » dans mon texte, j’employais une métaphore pour désigner » l’écrit, le style… » de l’écrivain et non pas l’outil en lui-même.
Merci de me donner l’occasion d’expliciter la formule.
Je ne peux résister de vous partager ce petit passage de Valère Novarina tiré de son livre « Devant la parole » (d’après ce que je me souviens sur Wikipédia, il est originaire d’Evian) :
« La Parole ne s’offre pas comme de l’outillage en panoplie disponible devant nous, mais apparaît soudain en face et à l’intérieur de nous comme notre matière même. Les mots sont comme des noyaux qu’il faut casser pour les libérer par le souffle. Le mot, primitivement, est un enfoui : quelque chose le brise du dedans ; le langage est minéral et s’ouvre, soufflé. La Parole est une matière vivante quelque chose de plus vivant que nous se transmet. Parler ce n’est pas avoir quelque chose à dire, mais c’est attendre la Parole comme une danse ; non pas quelque chose qui émet mais quelque chose qui reçoit et qui ouvre alors un passage. »
Je viens de découvrir la plume dernièrement à travers un beau cadeau.
Une vraie plume, délicate. J’ai mis quelques semaines à savoir la tenir entre mes doigts et à l’utiliser.
Avec cette plume, je vais pouvoir enfin écrire, ce qui jusqu’ici n’était reservé qu’aux touches d’un clavier.
Votre texte est sujet est magnifique. Pour une fois, entendre JNA dire « je me suis arrété et contenté de lire », là Argil, vous nous l’avez scotché :-a)
Bon jour à tous les Briaunautes, bon jour José,
Lorsqu’il y a de cela 15 jours j’ai envoyé mon texte à jna, je lui ai demandé s’il aurait la gentillesse de m’écrire une petite introduction.
Il m’a répondu qu’il essaierait.
Aujourd’hui, je m’en rends compte en le lisant, j’ai été à son égard comme un « petit prince » qui lui demandait de me dessiner un mouton. Exercice périlleux et difficile !
Et puis, il écrit : « Alors plutôt que de tenter une analyse de texte, je me suis arrêté de réfléchir et contenté de lire, de ressentir, pour une fois encore, observer le monde et les moutons qui l’animent, à travers la boîte. »
Je dois vous le dire, José, j’ai réfléchi quelque temps afin de trouver les mots qui soient au plus près et au plus juste de l’émotion que j’ai ressentie en lisant votre dernière phrase. Alors, en toute simplicité, je vous l’avoue : j’ai pleuré.
Les chrétiens orthodoxes ajoutent volontiers aux 7 dons connus de l’Esprit Saint, un huitème qu’ils appellent « le don des larmes ». C’est un chemin d’y avoir accès. Mais c’est avant tout une grâce…
José, je suis un bien heureux que vous n’ayez pas bien compris, quelquefois, ce que je voulais dire… on ne voit bien qu’avec le coeur… Vous avez eu le courage de descendre en dessous de l’écume agitée du monde pour y aller chercher ce que, justement, vous ne possédez pas… et de me l’offrir.
« Oh ! doux miracle de nos mains vides… » faisait dire Bernanos à son curé de campagne.
Alors, et pour terminer, José, je voudrais vous dire simplement : votre introduction… « c’est tout à fait comme ça que je la voulais… »
Merci
Alain
C’est déjà Noël ! 🙂
jolie ,indéfinissable,comme une goute d’eau ,limpide et secrète,toute semblables et pourtant jamais la même
Je suis vraiment émue. A côté de la profondeur et de la poésie de cet article et de ses commentaires, ce qui me touche le plus c’est le sentiment, le coeur, l’amitié, qui s’en dégagent. Ah il est vraiment bien notre site, et mérite le premier prix au Festival de Romans :-e)