le chiffre de Crécy, l’erreur des érudits
le chiffre de Diane |
Nous voici de retour de Crécy-en-Ponthieu, où nous avons découvert un blason assez ressemblant à celui de Crécy-la-Chapelle (disons plutôt Crécy-en-Brie), mais malheureusement, aucune explication satisfaisante quant à l’origine et la signification de nos croissants entrelacés.
Retournons dans le temps, à la rencontre de Catherine de Médicis, pour nous intéresser de plus près à ses armes et armoiries, celles qu’elle aurait donné à Crécy, si l’on en croit les érudits et historiens locaux.
le «Chiffre de Crécy » … épisode 3 |
Les deux figures qui suivent représentent deux "versions" des armoiries de Catherine de Médicis. Le blason de gauche est complexe, car il fait référence aux familles des deux parents de la Dame : Laurent II de Médicis (un florentin) et de Madeleine de la Tour d’Auvergne (une française). Celui de droite correspond au blason de la famille des Médicis, surchargé de fleurs de lys, pour indiquer la qualité de reine de France.
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A la vue de ces deux figures. Les auteurs qui écrivent encore que " Catherine de Médicis offrit ses propres armes à Crécy " doivent revoir leur affirmation. Y aperçoit-il un croissant ?
Les grandes armoiries, comme celles que nous présentons ci-dessus, sont une chose, mais les gens de bien de l’époque aimaient à multiplier leurs symboles et emblèmes. Ils possédaient donc d’autres signatures : un " chiffre " et parfois aussi un ou plusieurs emblèmes. Les propriétaires de grandes demeures se plaisaient à laisser les traces de leur " chiffre ou de leur emblème dans les éléments d’architecture et de décoration. Ces symboles étaient souvent présents dans leurs portraits ou sur des objets précieux, meubles, bijoux, reliures de livres anciens.
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Aussi, ne trouvant pas trace de croissant dans les armoiries de Catherine, me suis-je penché sur ces autres typologies de symboles, avec le secret espoir d’y découvrir enfin un croissant. Que nous enseigne donc la littérature sur les emblèmes de la Dame ?
Le " chiffre " de Catherine était bien un " C ", c’est normal puisque c’était son initiale. De ce fait Catherine utilisait bien pour chiffre personnel une combinaison de deux " C " entrelacés. On trouve ces " C " entrelacés dans de très nombreux motifs de décoration au château de Chenonceau, un lieu particulièrement apprécié de Catherine (cf. photo ci contre). Nous voici en présence de deux " C " entrelacés, mais nulle part, je n’ai relevé de référence à un croissant utilisé pour styliser le "C". On retrouve souvent et très naturellement cette composition, associée au " H " d’Henri II. Le résultat de cette autre association est plutôt célèbre et est sujet à un débat que nous aborderons plus loin.
La reine se dota pourtant plusieurs emblèmes au cours de sa longue vie, mais au bout de mes recherches, aucune mention de croissant. A une écharpe d’iris (un arc en ciel), succédèrent une lance brisée (suite à la mort d’Henri II), puis curieusement, une montagne de chaux !
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Le croissant d’Henri II : Donec totum impleat orbem La Salamandre était l’emblème bien connu du roi François Ier. Quand son fils, Henri II monta sur le trône en 1547, il choisit à son tour un emblème pour son règne : ce fut un croissant de lune. Voila qui nous interpelle enfin !
Rassurez-vous, les choses ne sont pas aussi simples que vous commencez à l’imaginer.
En effet, ce choix n’est pas interprété par les historiens comme un hommage au chiffre de sa tendre femme, au " C " de Catherine qu’il avait épousée en 1533 (14 ans auparavant). Non, ce croissant fut choisi délibérément par le roi afin d’honorer son infaillible amitié pour la belle Diane de Poitiers. Amitié ? Beaucoup plus que de l’amitié en fait, car il y avait grande affinité en dépit d’une différence d’âge d’une vingtaine d’années. Diane, maîtresse et favorite du Roi, était alors chantée par tous les poètes de Ronsard à Du Bellay ! La Renaissance, une époque épique où l’on vénérait le culte antique de la Diane chasseresse.
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Document : j’ai choisi ce texte d’Hilaron de Coste, ecclésiastique du XVII ème siècle, car c’est un des plus virulents plaidoyers qu’il m’ait été donné l’occasion de lire contre la thèse que je viens d’exposer ci-dessus. L’auteur veut voir dans le choix du croissant une dimension religieuse et divine (c’est le « principal motif »), mais il ne peut toutefois ignorer le fait que nombre de contemporains du Roi Henri II ont perçu dans l’emblème royal une faveur galante à l’attention de Diane. Que d’ambigüités et de subtils sous-entendus dans un simple croissant. Ce texte écrit par une main dont l’orthodoxie n’est pas contestable, confirme à mon sens la thèse retenue par la plupart des historiens.
… qu’Henry Duc d’Orléans épousant Caterine prit pour symbole trois Croissans entrelacez ou la Lune en son croissant, avec ces mots, DONEC TOTUM IMPLEAT ORBEM, c’est à dire, jusques à ce qu’il accomplisse tout le rond. Promettant par cette devise qu’il defendroit l’Eglise, dont nos Rois sont les fils aisnez, jusqu’à ce qu’elle eust obtenu sa plenitude sous un Dieu, une Loy, et un vray Pasteur. Je croy que c’est là le principal motif, pourquoy cét invincible Monarque prit le Croissant pour symbole, quoy que quelques-uns tiennent avec apparence que ce fut en faveur de Diane de Poitiers Duchesse de Valentinois, laquelle eut un grand credit durant son regne . Hilarion de Coste (1595-1661) : « Les Eloges et les vies des reynes, des princesses, et des dames illustres en piété, en Courage & en Doctrine, qui ont fleury de nostre temps, & du temps de nos Peres. » |
Château de Chenonceau : détail d’incrustation d’ivoire sur un meuble offert à François II, à l’occasion de son mariage avec Marie Stuart (Photo jna)
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Emblème d’Henri II dans une version à trois croissants entrelacés
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Le texte complet : " Henri II Roi de France " et au-dessus du croissant de lune, la devise du Roi : Donec totum impleat orbem"
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L’idylle entre les deux personnages était bien antérieure au mariage de Catherine et d’Henri. Catherine savait qu’elle était une épouse "trompée" avant même d’être mariée. En cela, rien de bien choquant, à l’époque, les rois et reines savaient distinguer les affaires d’état, des affaires du cœur. C’est François 1er lui-même qui avait demandé à Diane, sa maîtresse, d’initier le jeune Henri aux choses de la vie. Mission bien accomplie puisque la Dame a conservé auprès du fils, une fonction de favorite, préalablement acquise auprès du Père.
On prête d’ailleurs à Henri, une fidélité honnête à ces deux femmes.
S’il est donc un personnage historique féminin, connu pour son affinité avec la lune, c’est bien elle, Diane de Poitiers. De tous les symboles qu’elle affectionnait, la lune était son préféré. L’emblème de la Dame était souvent décliné sous différentes figures dont la plus connue appelé le " chiffre de Diane ", était constitué de trois croissants de lune entrelacés.
Cela vous rappelle-t-il quelque chose ?
Ainsi, les croissants d’Henri et de Diane, tout comme leurs initiales, furent-ils souvent réunis et entrelacés, dans les demeures où vécut la Dame et même dit-on, dans certaines résidences royales.
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Le chiffre de Diane
Dans cette figure, le croissant ne vaut pas à lui seul pour un "D", c’est dans l’entrelacement des trois croissants qu’il faut chercher le ou peut-être les " D " de Diane, à cette nuance prêt qu’il s’agit du "Delta", le D grec. C’est aussi l’emblème d’Henri II dans sa version au trois croissants.
A droite le " H " d’Henri et les " D " de Diane, entrelacés au Château d’Anet : dans ce lieu, le saint des saints de Diane, aucune chance de découvrir un hommage à Catherine. |
Diane de Poitiers fût donc, LA RIVALE de Catherine de Médicis, tout au long du règne d’Henri II. Les deux femmes s’installèrent vraisemblablement dans une forme de cohabitation courtoise puisque Diane eut en charge de s’occuper des enfants du couple royal.
Tout changea à la mort accidentelle du Roi, tué dans un tournoi. Catherine assura la régence et prit le pouvoir. La "belle Diane" fut remerciée et invitée à se retirer sur ses terres … pour y terminer ses jours paisiblement (au château d’Anet). Une partie de ses biens, les dons d’Henri en particulier, furent confisqués. Diane abandonna notamment le fameux château de Chenonceau qu’elle fut contrainte d’échanger contre celui de Chaumont. L’existence d’une telle transaction laisse penser qu’une fois débarrassée de sa rivale, Catherine ne se transforma pas pour autant en un bourreau.
On imagine assez aisément que sa condition d’épouse royale n’avait pas été facile à gérer pendant 26 années de cohabitation avec la maîtresse de son époux, deux décennies ponctuées de 10 grossesses ! Voici donc l’histoire de deux femmes souvent mises en opposition : Diane et Catherine, thèse et antithèse, maîtresse et épouse, lumière et obscurité, ou encore Lune et Serpent … (cf. la Lune et le Serpent : ouvrage publié en 2005 par M. de Kent sur l’histoire de ces drôles de Dames).
Maintenant que penser de tout cela, que retenir de ces informations dans leur relation avec l’origine de notre blason ?
Le constat le plus évident est que le croissant ne peut pas être considéré comme emblème propre à Catherine de Médicis. Emblème d’Henri II et emblème de Diane de Poitiers, il parait difficile de l’associer étroitement à Catherine de Médicis. C’est pourquoi, l’idée de rendre hommage à Catherine de Médicis, au moyen d’un graphisme si ressemblant à l’emblème fétiche de Diane de Poitiers, sa rivale, relèverait d’une démarche difficile à comprendre.
Difficile d’imaginer également que le blason de Crécy pourrait relever d’une proposition faite aux créçois, par Catherine en personne. Je ne vois pas comment, du vivant de Catherine, on aurait pu créer un tel blason avec l’assentiment de la reine.
J’ai tendance à penser que si l’origine du blason devait bien avoir un lien avec Catherine de Médicis, c’est qu’à un moment ou à un autre, les concepteurs ont commis une erreur, fut-elle commise en " toute bonne foi ", par simple ignorance peut-être. J’ai donc imaginé quelques scénarios qui à mes yeux pourraient rendre un tant soit peu crédible et cohérente par rapport à l’histoire, l’hypothèse d’un blason créé pour rendre hommage à Catherine. La date de création du blason de Crécy n’est malheureusement pas connue, elle a pourtant un influence majeure sur la crédibilité de chacun de ces scénarios. Les historiens locaux n’ont pas de certitude sur l’apparition du blason moderne de Crécy, remonte-t-elle :
– au XVIème siècle, du vivant de Catherine (c’est très peu probable pour les raisons exposées plus haut) ?
– à la fin du XVIème ou au début du XVIIème, peu de temps après la mort de Catherine ?
– plus tardivement au XVIIème ?
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quelques essais de scénarios ….
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Scénario 1 : hommage au Roi Nous sommes sous le règne d’Henri II, Catherine vient de temps en temps à Crécy pour profiter de ses melons. La cité choisit un blason, un nouveau blason peut-être. On retient l’idée d’un "Chiffre" constitué de " C " entrelacés pour rendre hommage au Roi Henri II et à son épouse Catherine. Pour cela, on utilise le croissant de lune emblème personnel et officiel du Roi. Cela est d’autant plus astucieux, que le croissant convient aussi pour styliser le " C " de Crécy et pourquoi pas celui de Catherine.
La couleur de fond retenue, l’azur, évoque la couleur royale et donc l’attachement de la cité au Royaume.
Ce choix, politiquement correct, serait plausible si le blason avait été créé avant 1559. Peut-on imaginer qu’un tel hommage fût possible et autorisé de la part d’une petite cité ? ou qu’un personnage de si haute importance ait pu octroyer un tel " privilège " à une simple bourgade ? En revanche, pourquoi avoir placé les croissants dans des positions si différentes de celles que l’on connaît dans l’emblème royal. La position relative des croissants a-t-elle un sens ?
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Scénario II : hommage à Catherine Henri II est mort, Diane a été évincée, Catherine règne.
La ville choisit un blason, un " Chiffre " comme emblème (des " C " entrelacés) pour rendre hommage à Catherine, Dame de Crécy et pourquoi pas, au roi Charles IX, son fils. Mais c’est là que le bât blesse.
Le choix du croissant ne serait vraiment pas approprié du vivant de Catherine. Utiliser une symbolique si proche du fameux " chiffre de Diane " aurait été de toute évidence très mal perçue par Catherine (si tant est qu’elle ait été avertie !).
J’exclue l’idée de voir dans l’hommage des créçois à la Dame, un camouflet volontaire !
On fait le pari que du vivant de Catherine, une confusion ou une erreur aussi grossière n’était pas envisageable.
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Scénario III : hommage tardif Catherine Le blason est créé plus tardivement, à la fin du XVIème ou au XVIIème siècle. La ville choisit un blason et souhaite rendre hommage à Catherine de Médicis, le personnage le plus illustre connu à Crécy. Les concepteurs utilisent des croissants entrelacés qu’ils imaginent être l’emblème de Catherine de Médicis. Mal chance, ignorance ?
Le choix de ce symbole n’est pas heureux car il rend un hommage involontaire à la rivale de Catherine (au mieux à Henri II) : c’est ce que l’on appelle, une ironie du destin.
Cette genèse reposant sur une erreur des concepteurs, fournirait une bien piètre origine à notre blason, il vaut mieux la rejeter mais elle n’est pas à exclure pour autant, car j’ai trouvé dans un ouvrage du XIXème un auteur qui de toute bonne foi attribuait à Catherine, la devise et l’emblème d’Henri II. Confusion grossière, mais qui a trompé des lecteurs !
Les textes de nos érudits nous réservent de nombreuses surprises de ce genre !
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Scénario IV : l’erreur d’un érudit Le blason est créé à la fin du XVIème ou au XVIIème siècle et les concepteurs travaillent pour attacher au blason de la cité une symbolique forte. Leur travail est très réussi.
Mais voila, on ne pense pas à coucher sur le papier, la signification du message porté par le blason. Un siècle ou deux plus tard, après une période de décadence lente mais certaine de la cité, un érudit local cherche à en "redorer" le blason. Il lui attribue une dimension royale, l’idée d’un hommage à Catherine de Médicis parait plausible et valorisant pour la réputation de la cité.
Le même auteur n’hésite pas à écrire que la ville comptait au moyen âge exactement 99 tours, un chiffre calculé pour éviter d’atteindre les 100 ! Il ignore quelques détails concernant les emblèmes et symboles des personnages historiques que nous venons de rappeler. L’érudit, lisait sans doute beaucoup, mais, à l’époque, il ne disposait pas d’internet et ces sources manquaient de diversité, d’avis contradictoires.
Pour lui, nul doute que le croissant de lune fût emblème et " chiffre " de Catherine de Médicis. Nouvelle méprise, mais comment lui en vouloir, quand il est encore si facile de s’y perdre aujourd’hui.
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Ma préférence va au dernier scénario car l’erreur, il faut bien qu’il y en ait une, ne vient pas du concepteur du blason ! Elle vient de l’interprétation tardive d’un érudit qui, en voulant bien faire, s’est seulement mélangé les croissants, confondant les emblèmes de Diane, d’Henri II et de Catherine. Peut-être même ignorait-il l’existence de la Maîtresse du Roi, la morale d’alors occultant encore cette femme de l’histoire du royaume.
Quoiqu’il en soit, il est temps pour nous de nous creuser les méninges, de faire preuve d’un peu d’imagination pour chercher ailleurs une explication à la symbolique de notre blason. Cette explication dorénavant, nous appartient. Prochains épisodes : jna … |
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La démonstration est sans faille , le rappel historique passionnant. La conclusion est un peu osée mais tout à fait plausible, un érudit un peu couiillon, cela s’est vu !
On peu en conclure que si on pouvait dater le blason, l’explication en découlerait.
Pas encore blasé du blason????????????????
Il est difficle d’admettre qu’il n’y a pas de relation entre les deux blasons de crécy-en-Brie et de Crécy-en-Ponthieu. Le nom Crécy, les couleurs azur pour les blasons et argent pour les croissants, enfin le nombre de croissants et leur disposition entrelacée.
La date de la création de celui de Crécy est-elle connue et figure t’il sur des monuments de la ville?
Comment étre certain qu’il n’existe aucune explication dans les archives?
pas de certitude quant à la présence d’explication dans des archives, a priori ceux qui s’y sont déjà penché n’ont pas trouvé.
Reste qu’il ne faut fermer aucune porte !
Aà au moins c’est Crécy !
Net et Crécy 😉