Histoire de crues

Il y a longtemps que le Grand-Morin n’est pas sorti de son lit. Le débordement du déversoir au Pré Manche constaté ces jours-ci présagerait-il d’une inondation ? Nous vivons une période de sécheresse qui ne durera pas éternellement et gageons que les inondations ne font pas partie que du passé.
Pourtant le passé en est riche de ces histoires de crues.
En voici une que l’on m’a raconté jadis. Cela se passait loin d’ici, près d’une rivière bien plus redoutable que le grand-Morin, je veux parler de la Garonne.

Lors de la dernière grande crue de 1981, ce n’était plus un fleuve mais un torrent de 4 km de large qui traversait la plaine emportant tout sur son passage.

L’histoire que voici se passait bien avant, dans les années 192.. Raymond et Yvonne travaillaient la métairie de la digue (là-bas on dit la "matte") à 2km du village de Saint-Pardoux-du-Breuilh.

Cette crue-là dura plusieurs semaines. La maison qui était à mi-hauteur de la digue et derrière celle-ci fut totalement inondée. Seul lieu habitable l’étable construite sur pilotis sur la digue. Dans l’étable s’entassaient le bétail et les humains, il y avait des vaches jusque dans l’escalier. Notre couple de métayers s’y installat avec leur bébé de quelques mois dans les conditions de vie que l’on imagine.
Il y avait bien un endroit qui aurait pu leur permettre de vivre un peu plus décemment mais personnage n’y aurait songé. En effet dans cette étable, le propriétaire qui n’habitait pas là s’était fait construire une chambre avec tout le confort de l’époque. Bien sûr la pièce était fermée à clé et personne ne se serait risqué à s’y introduire, préférant se contenter de son pauvre sort.
Surement pas Yvonne, qui tout sa vie apportât dévotion aux "patrons" qui l’employèrent. Orpheline de père à 5 ans elle dût, dès cet age partir travailler comme bonne de ferme ou garder les vaches et conservat toujours une attitude de soumission.
Pas Raymond non plus, qui lors de 4 ans de guerre passés dans les balkans avait vu tellement de misère qu’il savait en relativiser la sienne.

L’enfant mourut durant cette inondation.
Quand ils le purent, Raymond et Yvonne changèrent de métairie pour s’éloigner du fleuve. C’était le deuxième enfant qu’ils perdaient au même age. Le troisième survécut (et vit encore), heureusement pour moi puisque c’est mon père !

Plus tard, le neveu de Raymond acheta cette maison et y passa sa retraite, pratiquant la chasse et la pêche, lieu idéal pour ces activités.
Maintenant la maison vient d’être mise en vente. Qui ira habiter la métairie de la matte ?
Peut-être un parisien pour ses vacances ou un Anglais attiré par les vieilles pierres et le calme du site. A la première crue de Garonne, soyons sûrs qu’ils détaleront; les anciens, eux, ne quittaient jamais leur maison !

A la même époque à 700 km de là près du Grand-Morin, un certain X… faisait construire une maison sur un terrain acheté au fermier de Saint-Martin. Sa fille y finit ses jours dans les années 197..
Plus tard, au début des années 199.. c’est là que je vins m’installer avec ma femme et que naquirent mes 3 enfants, près de cette petite rivière qui sait elle-aussi être redoutable parfois. Mais qu’est-ce donc qui m’a poussé à venir habiter en zone inondable ? Mais au fait, j’y pense soudain, ma grand-mère s’appelait Yvonne … Morin !