On the edge of the war zone – chapitre 7
CHAPITRE VII
5 Décembre 1914
Nous avons eu du très beau temps. Hier Amélie et moi en avons profité pour faire un pèlerinage le long de la Marne afin de décorer les tombes du champ de bataille à Chambry. Les gens étaient venus en foule à l’occasion de la Toussaint. Mais je n’aime pas faire quelque chose, même si c’est un pèlerinage, avec la foule autour de moi. Vous pouvez réaliser la proximité, et combien il est facile de s’y rendre en temps normal, quand je vous dis que nous avons quitté Esbly pour Meaux à 13 H. 30 – seulement 10 minutes par le train – et étions à la gare de Meaux à 15 H 45, après avoir visité Monthyon, Villeroy, Neufmontiers, Penchard, Chauconin, Barcy, Chambry, et Varreddes. |
Les autorités ne sont pas très inquiètes de voir le va-et-vient des gens. Aucune mesure de sécurité n’est réellement prise. Cela demande seulement un peu de diplomatie. Si je m’étais déplacée pour demander un passeport il y a neuf chances sur dix qu’il m’aurait été refusé. J’ai appris que la femme du gros loueur de voitures de Meaux, une énergique, et incidemment belle femme, qui a pris la direction de l’affaire quand son mari a rejoint son régiment, avait deux automobiles, et me fournirait tous les papiers nécessaires. Ce ne sont pas des taxis mais de belles voitures de tourisme. Son chauffeur apporte les papiers qu’il faut. Il me semble qu’il s’agit d’un arrangement léger d’un point de vue militaire, même si je suis assurée qu’elle n’envoie personne qu’elle ne connaisse. Cependant j’ai décidé d’en profiter.
Pendant que nous attendions au garage que la voiture soit sortie, et que le chauffeur change de manteau, j’ai eu la chance de parler avec un homme qui n’avait pas quitté Meaux pendant la bataille, et j’ai appris qu’il y avait plusieurs grandes familles qui étaient restées avec l’archevêque et l’avaient aidé à organiser le sauvetage de la ville, si possible, ainsi que la protection des biens de ceux qui étaient partis, et que les mesures que ces soixante citoyens, avec l’archevêque Marbeau à leur tête, avaient prises pour la sécurité des pauvres, le service auprès des blessés et des morts, étaient l’un des plus nobles exploits dans les annales de la ville historique. Mais peu importe toutes ces choses, que, j’imagine, les guides vous diront quand vous ferez le grand tour des champs de bataille de France, car vous devrez commencer votre pèlerinage par ces plaines de la région de Meaux. J’avoue que mon cœur a battu un peu trop rapidement quand, alors que nous sortions de Meaux, et prenions la route départementale de Senlis, un soldat alla au milieu de la route et sortit son fusil, baïonnette au canon. Nous nous arrêtâmes. Devions-nous rebrousser chemin ? J’avais le sentiment coupable qu’il n’y avait pas de raison pour que nous ne le fassions pas. J’essayais de paraître superbement non concernée comme je me penchais vers le soldat pour lui sourire. J’aurais dû m’épargner cet effort. Il ne jeta même pas un coup d’oeil à l’intérieur de la voiture. L’examen des papiers fut la chose la plus sommaire qu’on puisse imaginer, une simple formalité. Le chauffeur présenta simplement son papier timbré au garde. Le garde y jeta seulement un coup d’oeil, leva son fusil, nous demanda de montrer nous aussi nos papiers, et nous le fîmes. Cela peut vous amuser de savoir que nous n’avons plus jamais montré de papiers. Nous avons rencontré deux gendarmes à bicyclette, mais ils ont incliné la tête et nous ont dépassées sans s’arrêter. L’air était si doux, on se serait plutôt cru au début de l’automne qu’au mois de décembre. Il y avait une brume dans l’air, mais derrière elle le soleil brillait. Vous savez ce qu’est la brume française, combien elle est connue dans le monde, et comment elle est présente dans le genre de paysage que les peintres aiment. Elle est associée à nombre de pèlerinages que nous avons faits ensemble ! Je pense aux murs de Provins, quand les tilleuls étaient roses avec la première montée de la sève, au panorama circulaire du haut de la tour en ruines de Montlhéry, au pays de Jean-Jacques Rousseau, du haut de la terrasse élevée de Montmorency, à la plate-forme face à la prison de l’infortunée épouse danoise de Philippe-Auguste, à Etampes, de l’autre côté de la vallée de la Juine, et à nombre de lieux magnifiques, sans oublier la vue qu’on a de la Seine depuis la terrasse des Tuileries. Quelquefois j’espère que nous verrons ensemble ces plaines de la Marne. Je pense que l’atmosphère sera différente. Alors que nous gravissions la colline sur la route couverte des gros pavés qui sont caractéristiques des environs de toutes les vieilles villes de France, tout était si paisible, si joli, si normal, qu’il était difficile d’imaginer que nous nous dirigions vers le front, et que nous n’étions seulement qu’à environ cinq kilomètres de l’endroit où l’invasion allemande avait fait demi-tour il y avait presque trois mois, et comme nous n’entendons plus le canon depuis des jours c’était encore plus difficile à réaliser . Un peu après Meaux nous avons pris une route à l’ouest pour Chauconin, le lieu le plus proche de chez nous qui fut bombardé. Je regardais la vallée de la Marne et vis une très jolie petite tour avec des toits rouges sur la colline. Je demandais au chauffeur : « Quel est ce village là-bas ? » Il regarda tout autour et répondit : « Quincy ». C’était ma ville. Je n’aurais pas dû être surprise. Naturellement je savais que si je pouvais voir Chauconin si clairement de mon jardin, Chauconin pouvait me voir. Je n’y avais seulement pas pensé. Nous regardâmes en bas Amélie et moi avec grand intérêt. Cela semblait si joli et cela ne l’est pas du tout. C’est le moins beau village de ce côté de la colline. En vérité la « distance » le fait apparaître enchanteur. Quand vous viendrez me voir je vous montrerai Quincy depuis l’autre côté de la Marne, et ne vous emmènerai jamais dans ces rues. Alors vous garderez toujours le souvenir d’une ville féérique. Ce n’est que quand nous entrâmes dans Chauconin que nous vîmes les premiers signes de la guerre. L’approche à travers des champs déjà labourés et plantés de céréales d’hiver, semblait la dernière chose qui puisse être associée à la guerre. Une fois à l’intérieur du village, nous l’appelons toujours « le petit Chauconin », (en français dans le texte), nous découvrons une destruction assez importante. Les maisons de toute une rue ont été littéralement démantelées. Les murs qui semblent brûlés sont toujours debout, mais les toits, portes, et fenêtres, ont disparu. La destruction des grosses fermes semble avoir été assez complète. Il reste de longs murs de décombres et de plâtras agglomérés. Les dépendances des bâtiments de ferme se sont volatilisées. Beaucoup ne sont plus qu’un tas d’ordures. La chose qui m’ait surprise fut de voir là une maison détruite, et, presque à côté, une autre qui n’avait même pas été touchée. Cela semble prouver que la bataille ici ne fut pas longue, et qu’un nombre relativement restreint de cibles furent atteintes. Neufmontiers était à peu près dans le même état. La vue en était triste mais pas du tout laide. Les ruines semblent aller avec l’atmosphère et le contexte français. Tout semblait assez naturel, et je devais faire un effort pour me resaisir. Si vous aviez été avec moi je vous aurais demandé de me pincer, de me rappeler que « tout cela n’est pas encore de l’histoire ancienne », et que je devrais montrer un peu de sentiment. Mais Amélie ne m’aurait jamais comprise. Il a fallu que nous nous dirigions de nouveau à l’est, nous approchant ainsi de Penchard, pour que je réalise ceci : Penchard est au sommet de la colline, juste au milieu de la ligne que je vois de mon jardin. C’était l’une des villes bombardées le soir du 5 Septembre, et, pour autant que je puisse le deviner, la destruction fut faite par les canons français qui chassaient les allemands cette nuit là. Ils disent que les allemands dormirent ici la nuit du 4 Septembre, et furent chassés le jour suivant par les canons français de 75 mm. qui avaient atteint Penchard via Chauconin par la route que nous venions de prendre. (Le canon de 75 mm, modèle 1897, était une pièce d’artillerie de campagne de l’armée française d’une conception absolument révolutionnaire à l’époque, voir Wikipedia). Je vous joins, comme preuve de ma bonne foi, une carte postale d’une batterie passant derrière l’abside de l’église du village. Mais toutes les traces des horreurs de ces jours ont été effacées. Penchard est la ville où les allemands exercèrent leur goût pour la méchanceté délibérée dont je vous ai parlé il y a plusieurs semaines. C’est un joli petit village magnifiquement situé, dominant la Marne d’un côté, et les vastes plaines de Barcy et Chambry de l’autre. Elle semble prospère, le lieu de résidence de gros fermiers et de petits rentiers. Elle dégage une impression d’humble épargne, avec de temps en temps un joli jardin, et ici et là les possibles signes d’une plus grande prospérité, un air, qui, en France, cache souvent une richesse insoupçonnée. Vous ne pouvez pas situer les lieux à moins d’avoir une grande carte. Les guides ne les indiquent jamais. De Penchard nous nous sommes un peu dirigées vers l’ouest, au pied de la colline au sommet de laquelle s’étendent les murs blancs de Monthyon, depuis lesquels nous avons vu le 5 Septembre la première fumée de la bataille. Je suis sûre d’avoir écrit il y a plusieurs semaines combien j’avais été perplexe, quand j’avais entendu le célèbre ordre du jour de Joffre au début, de découvrir qu’il avait été daté du 6 Septembre alors que nous avions vu la bataille commencer le 5. J’ai trouvé hier ce que je présume être une explication, qui prouve que l’offensive le long du reste de la ligne, le 6, avait simplement été la continuation de ce que nous avions vu ce samedi après-midi. Au pied de la colline, couronnée par les murs de Monthyon, s’étend Villeroy, aujourd’hui le lieu des pèlerinages patriotiques. Ici, le 5 Septembre, le 276 ème régiment était en train de préparer la soupe du déjeuner, quand, soudainement, venant des arbres situés sur les hauteurs, les obus allemands tombèrent au milieu d’eux, et la nourriture fut oubliée, tandis que les français qui étaient à Saint-Soupplets de l’autre côté de la colline, de même que ceux qui étaient à Villeroy, se trouvèrent soudainement eux-mêmes en plein combat, la bataille que nous vîmes. Ils m’ont dit à Villeroy que beaucoup d’hommes des régiments engagés étaient de cette région, et que là-bas les civils avaient abandonné leur travail dans les champs, happé les canons que les soldats morts et blessés laissaient tomber, et s’étaient mis à combattre aux côtés de leurs voisins en uniforme. Je vous donne ce détail pittoresque et probable pour ce qu’il vaut. Au pied de la colline entre Monthyon et Villeroy se trouve la tombe dans laquelle deux cents hommes qui tombèrent ici furent enterrés ensemble. Parmi eux il y a Charles Péguy, le poète qui portait des galons de lieutenant, et était connu par ses compagnons pour être « un glorieux fou dans sa bravoure », (en français dans le texte). Cette longue tombe, avec ses croix, drapeaux, et fleurs, a servi de cadre le jour de la Toussaint à la cérémonie commémorative en l’honneur de la victoire, et symbolise, non seulement le commencement de la bataille, mais le commencement de son triomphe. De ce point nous retournâmes à l’est, presque le long de la ligne de bataille, au hameau de Barcy accroché au flanc de la colline, la plus triste scène de désolation à la fin du grand combat. C’était un humble petit village, groupé autour d’une chère vieille église, avec une gracieuse tour carrée surmontée d’une flèche. En face de l’église il y avait un petit square, à partir duquel la rue principale descendait la colline, jusqu’à la région ouverte à travers laquelle l’avancée française se dirigeait. Pas de maisons dans cette rue qui subsiste. Certaines sont absolument détruites. L’église est une pure ruine. Sa tour est percée d’énormes trous. Sa cloche repose, une épave, par terre sous sa tour. Le toit est tombé, formant un entassement de débris sous la nef. Ses fenêtres sont parties, et ses bas-côtés portent des plaies béantes. Assez curieusement le chemin de croix est intact, et certains paysans considèrent que c’est un miracle, en dépit du fait que le Maître-hôtel est enfoui sous un tas de tuiles et de plâtre. Les portes étant parties, on pouvait voir, par-dessus une barrière provisoire, l’épave qui était à l’intérieur, et, en déposant un don pour la restauration dans la boîte prévue à cet effet, il était possible d’entrer, à ses risques et périls, par une porte de côté. Cela n’en vaut pas vraiment la peine, étant donné qu’on n’en voyait pas plus que ce qui était visible de la porte, et il semblait qu’à tout moment l’édifice entier pouvait s’écrouler. Cependant Amélie voulait pénétrer à l’intérieur, et ainsi nous le fîmes. Nous entrâmes par la mairie, qui est d’un côté, dans une petite cour où les enfants de l’école étaient en train de jouer sous les murs étayés, aussi gaiement que s’il n’y avait pas eu de bombardements. Le sort de la mairie n’avait guère été meilleur que celui de l’église, et la salle de classe, qui était dans ses murs, avait un toit provisoire, la partie supérieure de cet édifice étant sinistrée. Le meilleur exemple que j’aie eu de la destruction venait cependant d’une maison qui était presque à l’opposé de l’église. C’était simplement une ruine. Il ne restait que ses murs. Comme les fenêtres et les portes avaient été soufflées, on pouvait voir de la rue l’intérieur de ce qui avait été de façon évidente une confortable maison de campagne. C’était maintenant comme une boîte ouverte, au centre de laquelle il y avait un tas de cendres de forme conique qui montait jusqu’au haut de la cheminée. Nous pouvions voir l’emplacement de l’escalier, mais il avait été entièrement brûlé et réduit à un tas de cendres, aussi complètement calciné que du bois dans une cheminée. Je n’aurais pas pu croire à une telle absolue destruction si je ne l’avais pas vue. Pendant que nous regardions l’épave je remarquais une femme âgée se penchant contre le mur et nous observant. De son vieux visage, marqué par la vie au grand air, et sillonné, ressortait une paire d’yeux noirs bordés de rouge et brouillés par beaucoup de larmes. Alors qu’elle nous regardait elle se frottait ses vieilles mains nerveusement. Il était évident que j’aurais dû entrer en conversation avec elle pour savoir si cette ruine avait été pendant des années sa maison, si elle avait vécu ici toute seule, et si tout ce qu’elle avait au monde, ses meubles, ses vêtements, et ses économies, avaient été brûlés dans la maison. Vous pouvez difficilement comprendre cela si vous ne connaissez pas ces personnes. Elles gardent leurs économies cachées. C’est la vieille histoire bien connue des placements français qui ont payé l’indemnité de guerre de 1870. Elles n’ont pas confiance dans les banques. L’Etat est la seule institution où elles placent leur argent, et c’est un des succès de la réussite française. Si vous connaissiez ces personnes comme moi vous comprendriez qu’une vieille paysanne de ce genre, ignorante de ce qu’est la guerre, aurait du mal à laisser sa maison, peu importe le nombre de fois qu’on lui aurait ordonné de le faire, avant que les ruines ne commencent à tomber autour d’elle. Même là, étant assez sourde, elle n’aurait probablement pas réalisé ce qui arrivait, et serait sortie dans une telle frayeur qu’elle aurait tout laissé derrière elle. De Barcy nous nous sommes déplacées dans la plaine, et avons pris la direction de Chambry, suivant la ligne du grand et décisif combat des 6 et 7 Septembre. Nous avons roulé lentement à travers le magnifique pays vallonné avec ses champs de céréales et de betteraves. Nous n’étions pas allées loin quand, juste sur le bord de la route, nous sommes montées sur un monticule isolé, avec une croix grossière dans le haut, et un petit drapeau tricolore au pied, la première tombe française dans la plaine. Nous avons demandé au chauffeur de s’arrêter, et nous avons continué à pied. D’abord les tombes étaient dispersées, parce que les garçons sont enterrés juste à l’endroit où ils sont tombés, bercés dans le sein de la mère patrie pour la sécurité de laquelle ils ont donné leur vie. Comme nous avancions elles devenaient plus nombreuses, jusqu’à ce que nous atteignions un point où, aussi loin qu’on pouvait voir, dans chaque direction, flottaient les petits drapeaux tricolores, comme de jolies fleurs dans le paysage. Ils faisaient des petits points dans la lointaine ligne d’horizon, et comme des parterres de fleurs au premier plan, et nous savions que derrière la ligne d’horizon il y en avait davantage. Ici et là il y avait une meule de foin avec une tombe à côté, et encore là une autre, en partie brûlée, presque encerclée par les petits drapeaux qui disent : « Ici dorment les héros ». C’était un spectacle troublant et passionnant. Je vous dis ce que je pensais alors que je me tenais là. Je les enviais. Ce me semblait être une belle chose de reposer là-bas en plein air, dans le sol des champs que leur simple mort avait rendu saint, le devoir accompli, l’effroi disparu, chacun exactement où il était tombé défendant sa mère patrie, consacré pour toujours dans la mémoire aimante de la terre qu’il avait sauvée, dans des tombes destinées à être arrosées pendant des années, non seulement par les larmes de ceux qui leur étaient proches et chers, mais par les héritiers de leur gloire, les enfants de la génération montante de la France Libre. Vous pouvez connaître une meilleure façon de partir, pas moi. Sûrement depuis que la mort existe cela vaut mieux que de mourir âgé entre des draps propres. En approchant de la fin de la route nous sommes allées dans le petit cimetière entouré de murs de Chambry, scène d’une des batailles les plus désespérées des 6 et 7 Septembre. Vous savez comment sont les humbles lieux d’inhumations des villages. Ses murs mesurent environ six pieds de haut, (le pied, unité de mesure britannique, mesure 0,3048 mètre). Ils sont faits de plâtre et de pierre, et ont une entrée sur la route qui va vers le village. A l’ouest et au nord-ouest les murs sont au sommet d’un talus au-dessus du carrefour. Je ne sais pas quelle était la position de l’armée française. Le chauffeur qui nous conduisait n’a pas pu nous éclairer. Pour autant que je puisse le deviner, avec le plus de précision possible, d’après le contexte, j’imagine que l’artillerie française a dû se trouver dans la direction de Penchard sur les collines boisées. Les murs sont percés par des trous de fusil à environ trois pieds de distance, et ceux qui sont à l’ouest et au sud-ouest sont percés par les canons et les obus. Ici, après que la position fut prise d’assaut plusieurs fois par l’artillerie, les zouaves ont effectué une des plus brillantes charges de baïonnettes du jour, se lançant jusqu’à la rive escarpée, et à travers les murs pleins d’impacts d’armes. A l’opposé de la barrière il y a une autre rive escarpée, où l’on peut encore voir les positions improvisées des canons des français quand ils ont poussé la retraite à travers la plaine. Le cimetière est plein de nouvelles tombes contre le mur, car beaucoup d’officiers sont enterrés ici, presque tous appartenant au régiment des zouaves, qui a été presque anéanti dans la charge, ayant connu la défaite plusieurs fois, avant de finalement prendre le dessus. De là nous avons tourné à l’est vers Varreddes, le long d’une jolie route bordée d’énormes vieux arbres, l’une des plus belles du département. Un grand nombre de ces très gros arbres ont été cassés aussi net par les obus que s’ils avaient été de simples brindilles. Le long de la route il y avait ici et là des tombes isolées. Varreddes a connu une expérience tragique. La population a été maltraitée de façon choquante par les allemands. Son vieux prêtre et beaucoup d’autres hommes âgés ont été emportés et fusillés, la ville gravement sinistrée. Nous avions l’intention d’aller par Varreddes jusqu’aux hauteurs situées derrière cette commune, où les héros des 133 ème, 246 ème, 289 ème régiments, et du régiment qui a commencé la bataille à Villeroy, le 276 ème, sont enterrés. Mais le temps changea, une bruine froide commença à tomber, et je ne vis pas l’intérêt d’y aller dans une voiture fermée. Ainsi nous retournâmes à Meaux. Il faisait encore jour quand nous sommes arrivées à Meaux, aussi avons-nous jeté un coup d’oeil sur les vieux moulins, et, sur le chemin de la gare, espéré très fort qu’ils n’étaient pas endommagés au point qu’on ne puisse les réparer. Alors que nous retournions à Esbly, je tendis les yeux pour regarder au-delà de la colline sur laquelle ma maison se tient. Je pus juste la voir comme nous rampions au-dessus du pont à Isles-les-Villenoy, et ressentais de nouveau comme un miracle le fait que les combats se soient arrêtés si près de nous. Au fond de mon cœur j’avais la sensation bizarre de l’absurdité de ma relation à la vie. Le sort si souvent m’envoie son poing à la figure, seulement pour retenir le coup à un millimètre de mon nez. Je suis peut-être faite pour le rencontrer encore. Tout cela me laissait une impression tenace, avec quelle rapidité le temps avait étendu sa main réparatrice sur ce champ de bataille. Je ne sais pas quel en sera l’effet en dehors du fait qu’une terrible guerre des tranchées se prépare. Mais ici où les combats passent, et ne reviennent jamais, du moins nous croyons qu’ils ne reviendront jamais, ils n’ont pas laissé de traces laides. Les champs sont propres. Les routes sont réparées. La pluie est tombée sur les ruines et a lavé toutes les marques de fumée. Même sur la route de Varreddes les français économes ont déjà emporté et mis en fagots les arbres tombés, et les énormes troncs cassés ont été déracinés, coupés dans le sens de la longueur, et empilés soigneusement le long de la route pour que le bois sèche, avant d’être transportés. Il n’y avait rien de crû nulle part concernant cette scène. Les villages étaient tristes parce que tellement silencieux et vides. J’avais fait de mon mieux pour avoir une impression de tragique. Je n’y étais pas arrivée. Au lieu de cela j’avais en retour une impression d’héroïsme, d’édification, tout cela étant inspirant. Le jour où vous viendrez, et où je vous conduirai à ce pèlerinage, il sera encore plus beau. Mais hélas, j’en ai peur, ce jour est lointain. |
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