On the edge of the war zone – chapitre 3
CHAPITRE III.
2 Octobre 1914
Bien, Amélie revint hier, et je peux vous dire que l’ambiance fut active. Je vous assure que j’étais heureuse de la revoir dans la maison. J’aime faire le travail seulement pendant une courte période. Mais j’en avais vraiment assez avant que la quinzaine ne se termine. Quand je la vis entrer dans le jardin, je le ressentis comme une heureuse nouvelle et une bénédiction. Je dirai qu’elle a pris les choses en main hier. La première chose qu’elle fit, après avoir mis la maison en ordre, et une fois le repas terminé, fut d’ouvrir la cave dans laquelle elle avait stocké ses trésors ménagers il y a un mois, et j’ai eu un après-midi peu ordinaire. Je passai une bonne partie de celui-ci à essayer de cacher mon rire silencieux. Si vous aviez été là vous vous seriez amusée. Je sus que quelque chose n’était pas à son goût quand je la vis pousser la petite brouette dans laquelle étaient les choses à jeter. J’en avais eu besoin. Mais les ressortir mit fin à mes efforts d’économie. Je lui dis de les mettre sur la table de la salle à manger, que je les déballerais et les rangerais. Mais je dus avant écouter ses doléances. |
Elle avait pratiquement tout caché : pendules, linge de table et de literie, tous les matelas, excepté le sien et celui de Père, pratiquement tous leurs vêtements, sauf celui qu’ils avaient sur le dos et un change. Je n’y avais pas beaucoup réfléchi. Cependant je me la rappelle disant : « Laissez les boches venir, ils ne trouveront pas grand chose dans ma maison ».
Bien, les pendules sont rouillées. Elles trempent dans le kérosène, et je ne pense pas que cela leur soit favorable. Tout son linge est humide, malodorant, et généralement moisi. Il en est de même pour les couvertures et les flanelles. Je ressentais de la sympathie et essayais de le montrer. Mais j’étais dans la situation de « l’ homme qui rit », (en français dans le texte), le plus petit effort pour exprimer une émotion me faisait grimacer horriblement. Elle était si drôle. J’étais contente quand elle eut fini de récriminer et déclara que : « Madame avait raison de ne pas protéger sa maison », et que la prochaine fois que les boches viendraient ils se réjouiraient de chaque chose qu’elle avait, « parce que », dit-elle enfin, « je ne participerai pas de nouveau à cette sorte de désastre, parole d’honneur ». Et elle marcha à l’extérieur de la maison transportant une bouteille d’eau de Javel qui répandait son odeur dans tout le hameau. Je fus prise d’un petit Fou-rire après son départ, et il ne s’arrêta pas quand j’ouvris mes poubelles et sortis les « trésors » qu’elle avait sauvés pour moi. Je riais à en pleurer. Il y avait mes bols à bouillons, mais sans les soucoupes qui étaient dans le buffet. Il y avait une demi-douzaine d’assiettes qui étaient avant dans le buffet. C’étaient juste des notes colorées, sans aucune valeur. Il y avait quelques pièces en argent, presque toutes en plaqué argent. Il y avait un vieux ventilateur peint, plusieurs colliers de perles, un rosaire qui était pendu à un clou à la tête de mon lit, quelques bijoux. Vous savez le peu de cas que je fais des bijoux, et il y avait quatre chandeliers en cuivre. Les seules choses dont j’avais manqué étaient les articles en plaqué argent. Je n’avais pas eu assez de cuillers à thé quand les anglais étaient là. Cela ne les avaient pas gênés. Ils étaient tout disposés à se servir des cuillers des uns et des autres à partir du moment où il y avait beaucoup de thé, et un bâton avec. Vous ne pouvez pas nier que cela avait son côté amusant. Je ne peux pas m’empêcher de me demander, même pendant que j’essuie les larmes de mes yeux, si la plupart des gens que j’ai vus circuler il y a quatre semaines, n’ont pas rencontré les mêmes difficultés quand ils firent l’inventaire de ce qui avait été sauvé et de ce qui avait été perdu. Je me souviens si bien avoir été à Aix les Bains en 1899, quand l’Hôtel Beau Site avait brûlé, et avoir trouvé une femme en robe du soir assise sur un banc dans le parc en face de l’hôtel en feu, avec la ceinture en dentelle d’un habit de soirée dans une main, et dans l’autre une petite bouteille d’alcool. Elle m’expliqua, avec quelque émotion, qu’elle était retournée, au risque de sa vie, pour prendre la bouteille sur sa coiffeuse « de crainte qu’elle n’explose ». Mettre mes affaires en ordre ne me prit pas une demi-heure. Mais le dégoût de la pauvre Amélie semblait croître avec le temps. Vous ne pouvez pas nier que si j’avais été expulsée, et revenais pour trouver ma maison en ruine, mes livres et tableaux détruits, et seulement ces pièces sans valeur en porcelaine et en plaqué argent pour assumer de nouveau les tâches ménagères, cela aurait été cocasse. Le vrai humour est seulement de l’exagération. Cela aurait été une colossale exagération. Ce n’était pas la première fois que j’avais l’occasion de m’interroger. Sérieusement, « pourquoi cette manie de possession » ? Le passeur du Styx est aussi capable de le traverser que le chemin de fer de rouler aujourd’hui. Cependant personne ne semble prêt à arrêter une personne née avec cette manie d’amasser. Je restais, regardant tout autour de moi quand tout fut en place, et je réalisais que si le désastre était arrivé, j’aurais trouvé facile de me consoler à une époque où des millions de personnes se trouvaient dans la même situation. C’est la loi de la nature. Les choses matérielles, comme les choses que nous avons perdues, peuvent être éternellement regrettées. On ne peut pas en être éternellement affligé. Nous devons assumer en y mettant chaque fois tout notre cœur. Dans le même ordre d’idée ce fut un tournant bizarre dans l’ordre de ma vie, que, cherchant de toutes les façons une retraite paisible pour reposer mon esprit fatigué, je finis par m’installer délibérément à la limite d’un champ de bataille, même si c’était une limite sûre, et également étrange que j’oubliais là que mon esprit était fatigué. |
Nous commençons à rassembler toutes sortes d’anecdotes concernant les aventures de certaines personnes qui sont restées à Voisins. Un vieil homme ici, un maçon qui avait travaillé à ma maison, a vécu une expérience très curieuse. Comme tous les autres il continua à travailler dans les champs pendant tous les jours menaçants. Je ne peux discerner s’il était inconscient du danger actuel, ou si c’était sa façon d’y faire face. Quoi qu’il en soit il disparut pendant plusieurs jours le matin où la bataille commença, le 5 Septembre. Sa vieille épouse s’était fait une raison que les allemands l’avaient pris, quand un matin il revint, fatigué, pâle, affamé, et hors d’état d’expliquer son absence.
C’était longtemps avant que sa femme ne puisse le faire parler. Il est propriétaire d’un champ qui se trouve environ à mi-chemin entre Voisins et Mareuil, près de la route du Pavé du Roi, et le matin où la bataille commença il était en train de déterrer des pommes de terre. Il vit soudain un groupe de cavaliers en bas du canal, et reconnut, grâce à leurs casques à pointe, que c’étaient des allemands. Sa première idée naturellement fut de s’échapper. Il laissa tomber sa houe. Mais il était trop paralysé par la peur pour courir, et il n’y avait rien pour se cacher. Aussi il commença à marcher à travers le champ aussi bien que ses vieilles jambes tremblantes le lui permettaient, les mains dans les poches. Evidemment les uhlans le rejoignirent en quelques minutes, et lui crièrent en français de s’arrêter. Il s’arrêta tout de suite naturellement, s’attendant à être fusillé instantanément. Ils lui ordonnèrent d’aller sur la route. Il se disposa à obéir. Pendant ce temps il s’aperçut que la terreur l’avait rendu muet. |
Ils commencèrent à le questionner. A toutes leurs questions il hochait simplement de la tête. Il comprenait assez bien, mais sa langue refusait de fonctionner, et, quand il put parler, l’idée lui vint de prétendre qu’il n’était pas français, que c’était un réfugié, qu’il ne connaissait pas la région, était perdu, en fait qu’il ne savait rien. Il s’arrangea pour donner le change, et finalement ils l’abandonnèrent comme une mauvaise plaisanterie, et montèrent la colline vers ma maison.
Alors il fut de nouveau paniqué. Il n’osait pas rentrer chez lui. Il avait peur qu’ils le trouvent dans le village, découvrent qu’il avait menti, et fasse du mal à sa vieille épouse, ou peut-être détruisent la ville. Ainsi il se cacha le long du canal jusqu’à ce que la faim le ramène chez lui. C’est une simple anecdote, mais ce fut pour le vieil homme une rude expérience dont il n’est pas encore remis. |
J’ai peur que tout cela vous paraisse trivial au plus fort de cette terrible guerre. Mais c’est actuellement notre vie ici. Nous écoutons le canon dans l’ignorance de ce qui arrive. Quel sens cela aurait-il que je vous écrive que le front de la bataille s’est établi dans d’inconfortables tranchées dans l’Aisne, que Manoury occupe la ligne en face de nous de Compiègne à Soissons, avec Castelnau au nord, son aile gauche restant dans la Somme, que Maud’huy est derrière Albert, et que la cathédrale de Reims a été bombardée de façon persistante et brutale depuis le 18 Septembre. Tous les jours ou tous les deux jours nos communications sont coupées par nécessité militaire. Vous en savez j’en suis sûre plus que nous au sujet de tout cela avec les nouvelles des journaux venant des télégraphistes.
Mais je ne vois rien de tout cela. Je vois l’esprit de ces gens tellement sûrs du succès final, et tellement convaincus que, même s’il faudra le monde entier pour le faire, il verront malgré tout la dynastie des Hohenzollern s’élever dans la fumée de la conflagration qui a été allumée. Naturellement la perverse destruction de la grande cathédrale me donne des frissons dans le dos. Chaque fois que j’entends les gros canons dans cette direction je me souviens de la dernière fois que nous étions là. Vous rappelez-vous comment nous étions assises dans le crépuscule d’un jour pluvieux dans notre chambre du dernier étage du Lion d’Or, dans le large siège près de la fenêtre. Nous nous trouvions juste au même niveau que ce cher tympan, avec son ancienne sculpture de David et Goliath, et tous ces magnifiques animaux si fièrement campés dans le travail de dentelier du sculpteur qui orne le parapet ? Je ressens une telle vague de pitié quand je pense que non seulement c’est détruit, mais que les générations futures en seront privées. C’est une des plus grandes œuvres produites par les mains de l’homme, une œuvre qui a résisté à tant de guerres, lors de ce que nous appelions les temps primitifs, avant que des revendications ne se fassent entendre au nom de la « culture », (« Kultur » terme allemand entre guillemets dans le texte), elles seraient détruites de nos jours. Les hommes sont venus et les hommes sont partis, (Nos excuses à Tennyson). C’est la loi de la vie. Mais la destruction préméditée et inutile des grandes œuvres de l’homme, le témoignage qu’en tous temps chaque âge a laissé en héritage, pour cette perte, ni l’homme ni le temps n’a aucune consolation. C’est un préjudice pour les âges futurs, et pour cela l’Allemagne méritera la haine du monde à travers les générations futures. |
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Nous poursuivons la diffusion de l’ouvrage de Mildred Aldrich traduit de l’américain par Florence Pigoreau que l’on remercie pour cet excellent travail.
J’ai cherché la route du pavé du roi, l’expression était en français dans le texte. Point de pavé du roi mais une rue du pavé des roizes. Déformation ? erreur de transcription ? si quelqu’un a une explication …
Le canal auquel il est fait référence est le canal de Chalifert traversé, dans le prolongement de la rue du pavé du roi par un étrange pont en bois aux planches non jointives mais encore autorisé à la circulation.
Merci Jean-Michel pour vos recherches et ces intéressantes précisions, ainsi que pour ces excellentes photos qui rendent mon article beaucoup plus attrayant.