Mais vous téléchargez Monsieur Jourdain !

Nous avons évoqué récemment la nouvelle loi destinée à contre-carrer le téléchargement illégal.
Le sujet donne en général lieu à des réactions passionnelles qui font un peu oublier le fond du problème.
Quand j’entend le mot "téléchargement" je me demande toujours de quoi on parle.

Techniquement le terme est clair, il fait référence au transfert de fichiers, et dans le cas d’internet du protocole ftp bien connu des informaticiens.

Mais est-ce bien cela ?

Quand vous ouvrez la pièce attachée au travers d’un webmail (je traduis : site de courrier électronique accessible via internet et non en local comme "Outlook Express"), on vous propose de l’ouvrir ou de l’enregistrer.
Autre cas : un site de logiciels téléchargeables où un menu "téléchargement" vous permet de faire votre marché et donc de transférer un logiciel du site vers votre ordinateur.

Dans les 2 cas il s’agit sans ambiguité de téléchargement d’un ou plusieurs fichiers d’un site distant vers votre ordinateur.

Jusque-là c’est clair.

Mais ce n’est pas tout, le téléchargement c’est comme la prose pour M Jourdain, on en fait souvent sans le savoir …

Quand vous venez sur ce site ou que vous cliquez quelque part pour changer de page, vous lancez un téléchargement.

En effet votre logiciel d’interface avec internet, Internet Explorer, ou au autre ne sait afficher que des données qui sont déjà sur l’ordinateur.
Les photos, le texte qui s’affichent sont donc copiées sur l’ordinateur, téléchargées. Par contre, les technologies modernes de visualisation de film ou d’écoute de musique fonctionnent sans télécharger le film ou le morceau, ç’eut été trop long.
Ils permettent de récupérer un flux d’informations un peu comme un téléviseur. Il n’y a donc pas téléchargement dans ces cas.
Subtilités techniques me direz-vous mais qui méritent d’être évoquées.

En allant sur internet on fait du téléchargement sans le savoir et on n’en fait pas forcément quand on croit en faire. Difficile de s’y retrouver.

Maintenant, si l’on considère l’offre que procure internet, au sein de cet immense hypermarché plus ou moins gratuit, qu’y trouve-t-on ?
– Des textes, des photos, du son, des images.
– Des textes personnels y cotoient un contenu produit par des professionnels.
– Des photos d’amateurs et des photos de photographes.
– Des films mis en ligne pas des particuliers, films de vacances, clips promotionnels de groupes qui se lancent ou de vedettes qui se relancent, et peut-être dans le lot des films volés.

Le financement d’internet est longtemps resté un mystère pour tous, y compris pour les professionnels.
Tout y a l’air gratuit, hormis quelques sites à péage. Le reste semble financé par la publicité et fait grande part au bénévolat. Un bénévolat pas toujours innocent, l’audience potentielle d’internet étant telle qu’elle permet de faire passer des idées : politique, associations, lobbying, …
Et puis il y a aussi l’acte gratuit, la volonté de rendre service et de partager le savoir.
Une volonté telle que l’on a vu fleurir sur internet la plus grande encyclopédie jamais construite : wikipedia.
Son pouvoir est tel, n’en déplaise à ses détracteurs, que le Quid n’est plus édité, wikipedia ayant détourné les lecteurs potentiels.
Et là pas de doit d’auteur, il s’agit du savoir commun, pas d’une oeuvre.

Dans ce monde internet, on l’a vu où tout semble gratuit, comment faire la part des choses, entre ce qui a éte mis à disposition du plus grand monde et ce qui a été volé ?

Plus généralement comment s’y retrouver dans cette société de consommation de l’information (au sens large) ?

La télévision est financée par la redevance et par la publicité. Si on fait abstraction de ces contributions  qu’on oublie vite, tout à l’air gratuit.
Désormais les journaux gratuits cotoient les journaux traditionnels. Les premières fois qu’un donneur (on ne peut pas dire vendeur) de journaux m’a tendu un journal gratuit, j’ai eu l’impression d’être un voleur, ce n’était pas logique de ne pas à voir à payer.
Maintenant on s’y habitue, on trouve cela normal.
Cela fait longtemps, mais choquait aussi au début, que l’on voit dans certaine grande surface de livres (la FNAC pour ne pas la nommer) des gens passer l’après-midi à lire des bandes dessinées sur place sans en acheter.
De même combien sommes-nous, à Intermarché, à feuilleter le Pays Briard et ne pas l’acheter parce qu’il n’y a rien ou pas grand chose sur Crécy ?
Bref, les raisons de relativiser la propriété intellectuelle nous encerclent, nous façonnent.

Et il n’y a pas que les photos, les images et la musique, il y a aussi les textes, ce que l’on oublie bien souvent.
Sur ce site même, on a vu des gens recopier des textes de chansons ou de poésie, sans le moindre scrupule. Si, si, j’ai les noms des coupables, des gens pourfandeurs du téléchargement par ailleurs !
Si le droit de citer est admis, le droit de recopier tout un texte n’est pas permis.

Je voudrais revenir à internet, histoire, non pas encore pour excuser les malveillants mais pour montrer l’irresponsabilité du système dans lequel ils sont.

Le sujet sous-jacent est celui de la formation.

Avant de savoir ce qui est bien ou mal sur internet, il faudrait d’abord savoir se servir de Internet.
Pourtant, bon nombre de nouveaux internautes sont fiers d’avoir franchi le pas. Ils ont déboursé une somme non négligeable pour cet objet, autant qu’un bel appareil photo ou qu’un camescope.
Et puis ils sont armés de liaisons internet à haut débit, 8 Moctets Monsieur, voire du 18 Moctets, ça jette !
En 3 mn, parce qu’il doit passer au client suivant, le vendeur leur a expliqué le maniement de la souris, après il suffit de se laisser guider mon cher Monsieur, c’est intuitif !

Ce qu’on oublie dans l’affaire, c’est qu’internet ce sont des milliers, voires des millions d’applications informatiques différentes. Même s’il y a des principes communs, chaque application a ses règles.
Dans une entreprise, atelier ou service, on ne mettra jamais une application informatique entre les mains d’un employé, d’un ouvrier ou d’un ingénieur sans une formation dédiée.
Pour le grand public, rien, débrouille-toi ! c’est intuitif !
Résultat : la plupart des gens ne savent pas se servir de l’outil ou croient savoir s’en servir. Et c’est vrai y compris sur ce site dont les fonctions, comme pour tous les sites, ne sont pas toutes "intuitives".

Formation manquante donc !

A côté de la formation, il y a aussi une forme d’éducation, c’est le comportement à avoir sur le web.

Là-aussi, des règles se dessinent. Je serais moins sévère que pour la formation dans la mesure où personne ne possède la science infuse. C’est l’expérience commune qui doit être capitalisée, mise au service du plus grand monde, et si possible sans droit d’auteur !
Cela va des règles de politesse au respect mutuel. Des principes théoriques pas toujours faciles à mettre en pratique.
– Prendre conscience de ce qui doit être partagé et de ce qui est de l’ordre du plagiat.
– Reconnaître la propriété intellectuelle mais aussi le droit de faire découvrir au plus grand nombre un super texte ou un super morceau qu’on a vu sur internet. C’est tout simplement possible, il suffit de faire un lien au lieu de recopier.
Les auteurs de site et de blogs qui sont nombreux et souvent très jeunes doivent prendre conscience que l’on ne peut partager que ce dont on est propriétaire. Pas facile à appréhender comme notion, nous l’avons vu plus haut mais on peut tous faire des efforts.

Pour améliorer le partage du contenu d’internet en conservant cet esprit altruiste et sans oublier les auteurs, on a inventé la "creative commons" ou licence libre (voir cette présentation didactique : Les droits en creative common). En résumé, c’est un droit d’utiliser une oeuvre (typiquement une photo) sur son site sans avoir à demander l’autorisation, ni payer mais en citant la source, et en ne faisant pas d’exploitation commerciale. Une bonne idée pour les brionautes quand j’y pense. La photo illustratrice de cet article rentre dans ce cadre.

Les modes de diffusion des oeuvres ont évolué depuis l’apparition d’internet. Il faudra se faire à l’idée qu’on peut "consommer" un disque en l’écoutant à distance, sans se déplacer et sans qu’il soit nécessaire de le graver sur un support. Cela ne fait pas plaisir aux "majors" du disque qui vivent sur le dos des artistes, mais c’est ainsi. Il ne faut pas refuser le progrès.
Mais cela ne doit pas empêcher pour autant les amateurs de l’objet "disque" ou "album" de trouver leur bonheur en boutique, et les libraires, disquaires (il n’y en a plus) et loueurs de films de vivre.

Reste la rémunération des artistes.
Internet a jeté un pavé dans la mare des principes de cette rémunération. Le droit d’auteur classique semble condamné à terme. A moins de tout contrôler au niveau d’internet, ce que d’aucuns feraient bien, histoire au passage de savoir qui écrit quoi, il sera bien difficile d’empêcher une oeuvre d’être diffusée via le net, y compris sans duplication ni téléchargement explicite.
La juste rémunération des artistes passera probablement par d’autre moyens de diffusion, paiement unique de l’oeuvre, concerts, produits dérivés, …
Ce sera cela ou le flicage d’internet, voie que semble avoir choisi les pouvoirs publics et qui inquiète les internautes !

En conclusion, et quel que soit l’avis que l’on peut avoir sur le téléchargement et le droit d’auteur, s’il y a deux sujets sur lesquels j’ai voulu insister ici, ce sont ceux de la formation et de l’éducation au savoir se comporter sur internet.